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citadelle, il promenait son léger et gracieux « Midi : » et il faisait soleil aussitôt qu’il s’était montré.

C’était un petit Toulousain de figure agréable et de mine éveillée, avec une jolie barbe châtain naturellement bouclée, les lèvres charnues et, sur toute la physionomie, je ne sais quoi d’enjoué et de voluptueux. Sa plus grande séduction était peut-être un air incroyable de jeunesse, ou de jenesse, comme on dit autour de la Dalbade ; à peine lui eût-on donné trente-cinq ou trente-six ans, quoiqu’il eût largement passé la quarantaine. Il s’habillait avec une recherche curieuse et une sorte de dandysme rustique. Quelle tenue ! C’était un vieux costume de chasse en velours feuille-morte, avec des houseaux de cuir fauve se boutonnant sur le côté, d’un aspect hérétique et horrible pour tout homme respectueux du règlement. Il est vrai que les boutons étaient à l’ordonnance ; encore posaient-ils un problème : c’étaient des boulons d’artilleur, et le capitaine D…, servait dans le génie. Enfin, en guise de col, la cravate de soie ou le foulard blanc de Mistral. Le tout faisait un poème extrêmement albigeois. On verra tout à l’heure que ce singulier habit était une relique.

Et sa chambre ! Encore une des curiosités de la citadelle : un amour, un bijou de chambre, une petite merveille de luxe et de mollesse. Il y avait de la lumière, un lustre, des glaces, une armoire et toujours dans quelque angle un vase de fleurs ou de feuillages : cela suffisait à nos yeux pour donner à cette boite assez chiche un aspect de confort et de raffinement. L’ensemble montrait de la coquetterie et un goût de la joie. On voyait aux murs des gravures en couleurs de la Vie parisienne, cette imagerie galante, aujourd’hui populaire jusque dans les « gourbis » et les « cagnas » de première ligne ; mais ces gravures avaient des cadres, et même on admirait au-dessus de la toilette un grand panneau de toile peinte où quelque poilu décorateur avait brossé une frise d’amours se jouant dans une guirlande d’un « Louis XV » du second Empire. Cela sentait le boudoir, la garçonnière, la loge d’actrice et ce je ne sais quoi du pays fortuné où l’on naît ministre des Beaux-Arts. Le portrait d’une très jolie femme et celui d’un petit garçon d’une dizaine d’années, lui aussi en costume de velours, et qui ressemblait à son père comme une goutte d’eau ressemble à une autre, complétaient le mobilier par une note d’élégance intime. Je savais que