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vainqueurs ? Nous avions préparé nos drapeaux. » Après un court arrêt, il a continué son voyage. Des chalands traînés par des remorqueurs ont fait descendre le cours de la Moselle au groupe dont il faisait partie, 1 500 hommes environ. Il a passé la nuit dans un gros bourg dont il ne sait plus le nom ; les habitans étaient là, chargés de provisions, Le curé en tête, qui parlait très bien le français. « Ne vous bousculez pas, mes enfans, il y en aura pour tout le monde. » Ce prêtre a fait coucher les prisonniers dans son église, en prenant d’eux tout le soin possible. Le lendemain, au petit matin, des paysans sont arrivés, ont entraîné chez eux quelques hommes et leur ont fait boire leur meilleur vin, mais ils ne savaient que l’allemand. Quelques heures après, la colonne s’est embarquée de nouveau, et elle a fait halte à Coblence. Dans cette ville, la population avait préparé le ravitaillement ; au débarcadère, chaque soldat recevait un gros morceau de pain garni de jambon ou de fromage, avec un verre de punch. « Pauvres Français ! » murmurait-on. Le jour suivant, les mêmes chalands descendirent le Rhin. Partout des canots se détachaient de la rive pour apporter des douceurs aux malheureux captifs. Ils atteignirent ainsi Düsseldorf, où ils firent un séjour de trois semaines. Là encore il n’y eut pas un cri hostile ; au contraire, des bourgeois s’approchèrent de la colonne et emmenèrent beaucoup de nos soldats dans des brasseries ; il fallut l’intervention de la troupe pour arrêter ce mouvement qui serait devenu général. Les prisonniers furent internés dans la caserne des uhlans, dite caserne Napoléon (elle s’appelait encore ainsi) ; ils n’avaient pas le droit de sortir, mais tous les matins des habitans de la ville, qui parlaient très correctement le français, venaient leur distribuer des vivres, du linge et des couvertures : à travers les grilles, les enfans leur apportaient des pommes et du tabac. Ensuite l’ordre de départ fut donné pour Spandau, auprès de Berlin. A mesure que le convoi s’enfonçait dans la Vieille-Prusse, l’accueil se faisait plus froid. Bientôt même ce furent des pierres, et, dans les stations, des poings tendus et des injures : Franzosen ! Canaille ! A Spandau, le régime ne fut pourtant pas trop dur ; le colonel qui commandait le camp était catholique (sans doute un Westphalien) ; il y avait aussi un jeune lieutenant qui était de Sarrebrück et qui traita nos prisonniers fort convenablement.