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Avec quelle tristesse j’ai appris la mort de ce noble et charmant Adrien Bertrand, — à vingt-sept ans ! Mort trop prévue ; mais parce qu’on le sentait venir, le coup n’en est pas moins rude. La dernière fois qu’il était venu causer avec moi, j’avais eu la douloureuse sensation que je ne le reverrais plus. Et c’était poignant de l’entendre faire des projets d’avenir, dans l’instant même où l’avenir lui échappait.

C’était une des âmes les plus généreuses, les plus vraiment juvéniles, les plus enthousiastes que j’aie jamais connues. S’étant fait de la vie une conception toute chevaleresque, il avait mis dans sa brève existence des pages de roman, exquises de sensibilité et de délicatesse. Ce que d’autres avaient imaginé dans les plus idéalistes de leurs fictions, lui, il l’avait réalisé. Écrivain à ses débuts quand la guerre éclata, tout de suite il se passionna pour son devoir militaire, parce qu’il en avait compris la grandeur. Officier de dragons, il alla au danger avec la même bravoure que son frère Georges, officier de chasseurs. L’un et l’autre, ils avaient même ardeur. J’ai lu de leurs lettres écrites du front ; je les ai vus l’un près de l’autre : que c’était touchant, cette communion des deux frères dans l’héroïsme ! Grièvement blessé, Adrien Bertrand n’a plus fait, pendant deux ans, que s’acheminer vers la fin. Alors le peu qui lui restait de vie, il l’a consacré à célébrer, — et à enrichir, — ce pour quoi il s’était battu : le patrimoine de l’esprit français. Car c’était le sol de la France qu’il avait défendu les armes à la main, mais c’était aussi la tradition française, la grande tradition classique, cette langue de Racine dont il ne parlait qu’avec un éclair dans le regard et un tremblement dans la voix. Il me l’a dit maintes fois et je tiens à le répéter, pour que ceux qui viennent après lui le sachent et recueillent son enseignement.

Ici nous ne l’oublierons pas. Il avait donné à cette Revue son premier roman, cet Appel du sol qui restera comme un des livres les plus vrais qui aient été écrits sur la guerre. On peut le lire et le relire, celui-là : on n’y trouvera rien dont un Français n’ait à être fier. Adrien Bertrand laisse des manuscrits, vers et prose, tous animés du même esprit. Et il nous laisse avec son souvenir, avec le regret de ce vigoureux talent tranché dans sa fleur, ce chef-d’œuvre : une vie qui, dans son court espace, résume un double culte, celui des lettres et de la terre françaises.


RENE DOUMIC.