Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/892

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’ouvre, et se referme comme un soufflet sur la joue, avec cette violence dont se ferment toujours les portes en Islam, ces portes pourtant si accueillantes à l’invité, à l’ami… Des enfans se poursuivent avec des cris aigus, où l’on croit reconnaître les appels et jusqu’aux mots que nous prononcions dans nos jeux. Sous les arceaux d’une mosquée, où brillent des veilleuses et de hauts chandeliers avec des cierges allumés, quelques adolescens, le capuchon relevé sur la tête, sagement accroupis en files, et un livre sur les genoux, écoutent un professeur, assis comme eux sur la natte, commenter d’une voix rapide et nasillarde un passage du Coran, un texte de grammaire, un poème, une loi, des choses que j’ignorerai toujours, mais qui sont justement celles qui conservent à ce coin du monde sa poésie inaltérée et le rendent non pareil… De loin, je ne sais d’où, des ritournelles de tambour et de flûtes, et des voix qui chantent un air triste, comme pour un enterrement, sortent par quelque fente des blancheurs enténébrées. Cela tourne, s’efface, semble se frayer un chemin à travers les banquises blanches, se rapproche et puis s’éloigne, — sans doute, quelqu’un de ces cortèges qui traversent chaque nuit la ville : jeune fille qu’on emmène dans la maison de son fiancé, nouveau marié qui va prendre son plaisir avec ses amis, fête de confrérie, ou bien gens qui s’en vont célébrer chez une accouchée la naissance d’un enfant… Je m’élance à la poursuite de ce bruit qui fuit et tournoie ; et au moment où, de détour en détour je finis par découvrir les drapeaux et les lanternes, tout s’engouffre dans un couloir au sol badigeonné de rouge qui plonge au-dessous de la rue, car la plupart de ces maisons s’enfoncent profondément dans la terre. Les tambours continuent de battre, les flûtes de jouer, les voix de psalmodier un allègre chant de joie. Sous ce couloir en tunnel le vacarme s’assourdit, pour éclater tout à coup, tel une fusée qui s’élève, dans le plein ciel du patio. Et moi, je reste, comme toujours, à la porte, au milieu des mendians en loques, tandis que les litanies succèdent aux litanies, les grands airs d’allégresse aux monotones appels à la protection des saints, et que, de moment en moment, retentissent les you-you des femmes, aussi inattendus dans ce concert de voix qu’un sifflet de locomotive sous une nuit étoilée.

Ah ! oui, j’avais raison de dire qu’un aveugle, un clairvoyant trouverait ici son plaisir ! Quel musicien de chez nous viendra