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montrait, au contraire, un corps où les épaules font voûte, où les genoux demi-pliés s’arquent en avant, où le thorax se creuse, et qui offre ainsi le profil général d’une console. Là, le poids portant sur les deux jambes à la fois, les membres étant rapprochés du torse, tout donne l’idée de la concentration et de l’effort. Et il faisait observer qu’il n’y avait plus dans cette attitude que deux grands plans principaux au lieu de quatre et qu’ainsi, loin de s’offrir de toutes parts aux nappes de lumière, le corps ainsi contracté produisait des « ombres très accentuées dans le creux de la poitrine et sous les jambes. »

Le maître a fait plus d’une fois cette démonstration. On la trouve notamment très bien comprise et développée dans ses Entretiens réunis par M. Paul Gsell. Et voici sa conclusion : « S’il m’est permis de parler un peu de moi, je vous dirai que j’ai oscillé, ma vie durant, entre les deux grandes tendances de la statuaire, entre la conception de Phidias et celle de Michel-Ange. »

C’est vrai, et l’on voit, sans aller plus loin que la salle Rodin au Luxembourg, ce qui est de l’un et ce qui est de l’autre, quoique la conception de Michel-Ange l’emporte de beaucoup sur celle de Phidias. Mais on voit, aussi, un phénomène assez singulier : quel que soit le parti qu’il ait pris, Rodin a toujours trouvé le secret de faire jouer et ruisseler la lumière sur la surface presque entière de ses figures, aussi bien quand elles se concentrent dans des gestes en flexion que lorsqu’elles développent des gestes en extension.

Il y a fort peu de cavernes, de trous d’ombre, en sorte qu’elles peuvent bien paraître moyenâgeuses par leur contrainte et leur effort, elles n’en restent pas moins antiques par le développement de leurs surfaces lumineuses. C’est que le maître a supprimé délibérément les à-jour et les trous que le mouvement général de la figure remplirait d’ombre, il n’a travaillé que les surfaces exposées à la lumière ; le reste demeure attaché à la pierre. C’est très sensible dans la Danaïde par exemple et d’une pratique constante dans les œuvres des dernières années.

Ce qui est saisissant, ensuite, dans ces figures, c’est leur mouvement. Il est saisissant parce qu’il est contenu : il anime des masses solides, stables, bien équilibrées. Ce n’est pas une gesticulation périphérique et désordonnée : nulle acrobatie, nulle voltige, rien qui rappelle Jean Bologne ou les Bernins. On