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l’Afrique orientale, la dernière qui lui fût restée. Elle n’a plus dorénavant un pouce de sol africain, asiatique ou océanien. Opposera-t-elle ses conquêtes en Europe ? Mais, outre qu’elles sont loin de lui être définitivement acquises, en Europe même elle a perdu ces espèces de colonies que, par son commerce et sa « culture, » elle avait réussi, pour ainsi dire, à insinuer, à insérer dans les plus vieux et les plus riches pays. « Un empire colonial, s’écriait récemment un pangermaniste, nous est plus nécessaire que jamais pour nous assurer les ressources alimentaires et les matières premières indispensables. » Européennes et extra-européennes, sous sa souveraineté ou la souveraineté d’autrui, l’Allemagne a perdu toutes ses colonies. Il serait prématuré d’en conclure qu’elle a « perdu la guerre. » Mais, en regard de la colonne où elle allonge et étale son actif, ce sont de gros chiffres qui s’inscrivent à sort passif.

Ainsi, toujours, dans les deux camps, le bon et le mauvais, les chances et les risques sont en balance. Dans le nôtre, la Russie s’en va, l’Amérique arrive; ce n’est pas une consolation, mais c’est une compensation. Librement, délibérément, les États-Unis pénètrent plus avant dans la guerre. Ils y réclament toute leur part : le Président demande au Congrès de la déclarer à l’Autriche-Hongrie; et, s’il réserve pour le moment « les deux autres outils de l’Allemagne, » la Bulgarie et la Turquie, c’est, dit-il, « qu’ils ne sont pas encore en travers du chemin direct de notre action nécessaire. » Résolus à aller « partout où les nécessités de cette guerre nous conduiront, il me semble, ajoute M. Wilson, que nous devrions aller seulement là où les considérations immédiates et pratiques nous conduisent. » Voilà du moins qui est très net et très clair. Tous les traits essentiels de ce message sont aussi clairs et aussi nets. Si, à la première lecture, l’opinion française est restée un temps, du reste très court, déconcertée ou hésitante devant certains passages plus vagues ou plus généraux, c’est que le ton et le style s’en accordent encore assez mal à nos habitudes. Un tel programme, un tel langage politique, où il entre quelque chose de si nouveau, et d’un peu plus neuf que nouveau, et d’un peu plus jeune que neuf, s’écartent trop de nos formes de penser et de parler latines, coulées dans le monde classique. Et, à côté de ce qui est communément américain, il y a ce qui est personnel au président Wilson. Il y a donc une abondante affirmation d’idéalisme, une large exposition ou profession de principes, et il y a de la leçon et du prêche, du juriste et du piétiste. « Le peuple des États-Unis désire la paix par la défaite du mal, » prononce