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plus de mille lieues sur les mêmes chevaux. Et il rapporte pour sa sœur une gouache d’après la cascade de Niagara, « qui tombe de 137 pieds de haut. » Ce ne devait pas être un chef-d’œuvre.

Les trois frères apprirent à la fois le coup d’État du 18 fructidor et l’exil de leur mère en Espagne. Carnot avait accordé sa protection à la Duchesse d’Orléans : victime de l’intrigue de Barras, lui-même était proscrit. Ils n’eurent plus d’autre désir que de rejoindre leur mère. Mais comment se rendre en Espagne ? — Par la Nouvelle-Orléans, alors possession espagnole. A cheval, en chariot, en bateau, quand les glaces de l’Alleghany ou de l’Ohio le permettaient, ils se crurent fort heureux d’arriver en soixante-huit jours à la Nouvelle-Orléans. C’est ainsi qu’on voyageait il y a un peu plus de cent ans en Amérique. Un autre voyageur parti en même temps, et moins heureux, n’arriva que deux semaines plus tard.

Leurs aventures n’étaient point terminées. Un brick espagnol les menait à la Havane : il reçoit dans le golfe du Mexique des boulets d’une frégate anglaise, amène son pavillon et livre ses passagers au capitaine Cochrane, devenu par la suite un amiral célèbre. Cochrane fait au Duc d’Orléans un excellent accueil et consent à se détourner de sa route pour le déposer à la Havane avec ses frères. Mais ils avaient compté sans les préjugés de la Cour d’Espagne ; et bientôt un ordre venu d’Aranjuez interdisait le séjour du royaume et de ses colonies aux fils de Philippe-Egalité ! Le gouverneur les fit conduire à Halifax. Ils y trouvèrent le duc de Kent, qui les invita à demander un asile en Angleterre. Et ils passèrent enfin à Twickenham quelques années tranquilles, heureux d’être ensemble et d’avoir retrouvé de fidèles amis, M. de Montjoie, M. le vicomte de Chabot, alors officier de l’armée anglaise.

Le Comte d’Artois étant venu à Londres, une réconciliation avait été facile. Entre ce prince et Louis-Philippe la sympathie fut toujours vive, malgré la divergence de leurs idées. Invités l’un et l’autre par le prince régent, ils assistèrent à cheval, côte à côte, à des revues de l’armée anglaise ; la seconde fois, par égard pour son parent, le Duc d’Orléans consentit à paraître en « frac, » renonçant à son vieil uniforme de Jemmapes.

Ses idées ne sont plus celles que lui dictait son père et qui ont, de confiance, enthousiasmé sa première jeunesse. Voici une