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société féministe s’est formée à Tokyo, et qu’on rencontre parmi les étudiantes et les anciennes étudiantes des jeunes filles qui refusent de se marier. J’ai dîné un soir chez un professeur de l’Université avec une de ces femmes nouvelles. Elle enseignait les mathématiques à l’École normale supérieure des filles. Je lui aurais donné vingt ans : elle en avait trente. Petite, menue, gracieuse, très fine, elle était aussi modeste que la plus, humble Japonaise. Un des invités, un jeune professeur, médit que sans doute elle ne se marierait pas, qu’une femme de sa valeur n’accepterait point l’humiliante entremise de l’intermédiaire, qu’au surplus les jeunes gens estimaient que, passé vingt-quatre ans, une fille n’était plus mariable et que les parens se défiaient de ces brus qui pouvaient avoir eu des aventures et qui, en tout cas, représenteraient dans la famille l’intrusion de l’amour, du redoutable et anarchique amour.

C’est parmi ces étudiantes, ces femmes professeurs, leurs compagnons d’études et les écrivains que le romancier recrute ses Enfans de Volupté. C’est dans ce petit milieu que M. Morila Sohei alla chercher ses personnages de Baien (Puînées d’usines) dont la censure interdit la publication pendant quatre ans et qui ne parut qu’en 1913 avec des corrections et des coupures. Le sujet n’en rappelle que de très loin Le Triomphe de la Mort. L’héroïne, jeune étudiante, et le héros, homme de lettres, se rencontrent au temple protestant du quartier de Kanda, pour l’unique raison qu’un auteur japonais, qui copie des sentimens européens, a toujours besoin d’un décor emprunté à l’Europe. Ni l’un, ni l’autre ne sont chrétiens ; et la jeune fille a même recours contre la passion qui l’entraîne aux disciplines bouddhiques les plus sévères. Toutes les nuits, les jambes repliées, les talons aux genoux, elle fait les durs exercices de la secte de Zen ; mais ils ne lui rendent pas sa tranquillité d’âme, et la laissent peut-être plus faible pendant la journée. Les deux amoureux se jouent des scènes du roman italien dans les restaurans européanisés dont les nappes douteuses nous soulèvent le cœur. Leur visage s’empourpre à boire du whisky. Comme leurs ancêtres aux momens critiques s’encourageaient par des exemples tirés de la Chine, ils s’excitent avec des souvenirs de d’Annunzio. « Vous souvient-il du lis qui s’épanouit sur le sable ardent ? — S’il m’en souvient ! Et de l’insecte qu’on trouve au fond de son calice, pâmé