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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/243

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à la nuit close, la poterne d’une ville n’en est qu’un mode grossier et primitif ; grossier et primitif aussi, de tendre la main pour recevoir les trente deniers de Judas. Le chèque même est dépassé, il y a l’affaire. Quelle étude on pourrait écrire sur l’internationalisme de l’argent, et le monde auquel il a donné naissance, où il suffit non pas même d’être, mais de paraître et de s’afficher riche pour obtenir droit de cité ! Par-dessus tout il y a la perversion sadique de corrompre et l’orgueil satanique de commander. Le « roué » de la Régence, le condottiere ou le « tyran » de la Renaissance italienne ont trouvé leurs équivalons, qui veulent vivre d’une vie effrénée. Mais l’État ne peut leur permettre de le faire à son détriment. Une seule vie est nécessaire, celle de la nation, qui ne saurait être compromise une seconde. Il ne faut point de bavure ou de fissure, il ne faut point de paille dans son métal.

La place nous manque, et nous ne pouvons que noter pour la chronologie la révolution de Portugal, dont on aperçoit mal l’origine et le dessein ; le malaise persistant en Espagne ; l’insuccès d’une tentative antiministérielle, neutraliste et giolittienne, en Italie ; un nouveau débat sur les buts de guerre à la Chambre des Communes ; la menace, qui se précise, d’un violent effort allemand et sans doute austro-hongrois contre le front franco-anglais ; la probabilité d’une offensive de paix coïncidant avec cette « offensive de guerre » à intentions brisantes. La réplique indiquée à l’offre hypocrite et menteuse d’une « paix générale » est « la guerre intégrale. » Jusqu’à présent nous avons fait la guerre moins que nous ne l’avons laissée se faire. Nous ne l’avons pas dirigée, « pensée,  » « composée. » Du moins nous ne l’avons conduite que fragmentairement, par secteurs. Toute l’Entente n’y a jamais porté et jeté à fond, d’un seul mouvement, sous une seule impulsion, au même endroit, au même instant, pour le même objet, toutes ses ressources. Et même, dans chacun des pays de l’Entente, toutes les ressources dont ce pays eût pu disposer n’ont jamais été employées. L’Allemagne, avec l’aide de ses complices, et puisant dans leur réservoir comme dans le sien propre, nous fait la guerre intégrale ; nous ne la lui avons pas rendue.

Nous n’avons de la « nation armée » qu’une conception qui retarde, par rapport à celle qu’on en a et qu’on pratique outre-Rhin. Quand nous avons eu décrété le service militaire obligatoire pour tous, et mobilisé toutes nos classes, les plus jeunes et les plus vieilles, fait de tout Français un soldat, quand tout soldat est fait de lui-même un héros de vaillance et de patience, nous nous sommes un peu endormis dans