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dernière citation ; en exercice d’écriture, on a tracé son nom ; en rédaction, on a eu à parler de lui ; enfin, on a dessiné un avion. On n’a pas pensé à lui que quand il a été mort ; avant qu’il soit mort, dans notre école, chaque fois qu’il abattait un avion, on était fier et heureux. Mais quand on a appris sa mort, ce fut un chagrin comme si un membre de notre famille avait été frappé.

« Roland a été l’exemple des chevaliers d’autrefois. Guynemer devra être l’exemple des Français de maintenant, et tous tâcheront de l’imiter et se souviendront de lui, comme on s’est souvenu de Roland. Moi surtout, je ne l’oublierai jamais, je garderai le souvenir qu’il est mort pour la France, comme mon cher papa. »


Tous les traits assemblés par ce petit Français pour dessiner Guynemer sont justes et, dans leur sobriété, ils suffisent : Guynemer est notre Roland, il en a la jeunesse rude et la flamme brûlante. Il est le dernier des chevaliers errans, le premier des chevaliers de l’air. Pour que sa courte vie fasse figure de légende, il suffit de la représenter avec exactitude. S’il a laissé un tel vide, c’est que chaque foyer l’avait adopté. Chacun prenait part à ses victoires. Chacun l’a inscrit parmi ses morts.

Pour que cette gloire ait ravi les enfans, il faut qu’elle soit simple et parfaite. Biographe de Guynemer, je ne songe pas à m’égaler au petit Paul Bailly. Mais je n’éloignerai pas de lui son héros. La vie de Guynemer prend naturellement le rythme légendaire. La vérité précise et limpide ressemble à un conte de fée.

L’antiquité a su trouver d’émouvans accens pour déplorer la perte de jeunes gens fauchés dans leur grâce. « La cité, soupire Périclès, a perdu sa lumière, l’année a perdu son printemps. » Théocrite et Ovide s’attendrissent tour à tour sur le bref destin d’Adonis dont le sang fut changé en fleur. Et dans Virgile, le père des dieux que Pallas supplie avant d’affronter Turnus, l’avertit de ne pas confondre la beauté de la vie avec sa durée :

Stat sua cuique dies ; brève et irreparabile tempus
Omnibus est vitae ; sed famam extendere factis,
Hoc virtutis opus