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un Guynemer en action de chasse. La biographie que j’ai tenté d’écrire cherche l’âme plutôt que le moteur ; l’âme a, pareillement, ses ailes.

La France s’est aimée dans Guynemer. Elle ne consent pas toujours à s’aimer. Il lui arrive de se détourner de ses efforts et de ses sacrifices pour admirer et célébrer ceux d’autrui. Il lui arrive de montrer ses défauts et ses blessures avec une ostentation qui les exagère. Elle apparaît quelquefois divisée contre elle-même. Mais celui-là, si jeune, l’avait réconciliée avec elle-même. Elle souriait à son âge et à ses prodiges. Il faisait la paix en elle. Quand elle l’eut perdu, elle le connut à l’explosion de sa douleur. Comme au premier jour de la guerre, la France se retrouva unanime. Et cet amour venait de ce qu’elle reconnaissait en lui son élan, sa générosité, son ardeur, un sang dont les siècles n’ont pu ralentir le cours.

Il n’est guère, chez nous, de foyer qui depuis quarante mois n’ait connu le deuil. Cependant, les pères, les mères, les femmes, les enfans qui me liront ne diront pas : « Que nous importe un Guynemer ? Personne ne parle du nôtre. » Le leur, c’est, la plupart du temps, un fantassin qu’ils n’ont pu assister, dont ils ne connaissent que par ouï dire, dont ils ignorent quelquefois, le lieu de sépulture. Tant de soldats obscurs n’ont jamais été commémorés, qui avaient donné, comme Guynemer, leur cœur et leur vie, qui sans doute avaient connu de pires jours de misère, de boue et d’horreur, sans qu’un rayon de gloire fut jamais descendu sur eux ! Le fantassin qui est le paria de la guerre a le droit d’être susceptible. La grande souffrance des temps s’est abattue sur lui : pourtant, il avait adopté Guynemer, et ce n’est pas la moindre conquête de ce conquérant. De Guynemer, le fantassin n’était pas jaloux. Il en avait subi l’enchantement. D’instinct, il devinait un Guynemer fraternel. Quand les communiqués énuméraient les merveilles de notre aviation, il ricanait dans son trou de taupe : « Encore eux ! toujours eux ! Et nous donc ? » Mais quand Guynemer inscrivait une pièce de plus au tableau, les tranchées exultaient et refaisaient son compte.

Lui-même, d’en haut, regardait avec amitié ces troglodytes qui le suivaient des yeux. Quelqu’un lui reprochant un jour de courir des risques inutiles en multipliant les tours d’acrobatie, il répondit gentiment :