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plus belle histoire du monde : Roland, les Croisades, la Bretagne et Duguesclin, l’Empire, l’Alsace. Songez donc, l’histoire de France…


II. — L’ENFANCE

Un de nos chefs les plus aimés de la troupe, le général de M… causeur érudit et moraliste charmant, qui, dans sa conversation, a toujours l’air de se promener dans culte histoire de France comme un enchanteur dans une forêt pour y multiplier les sortilèges, me récitait un jour la courte prière qu’il avait composée afin d’obtenir la grâce de bien dresser dans la vie ses enfans :

« Monseigneur Saint Louis, Messire Duguesclin, Messire Bayard, faites que mes fils soient braves et ne mentent jamais. »

Comme on le voit, ce n’est pas un texte écrit pour les étrangers, car il ne s’adresse qu’à des patrons de chez nous. Un Georges Guynemer fut ainsi élevé dans le culte de la vérité. Tromper, c’est s’abaisser. Tout petit, il était déjà fier comme un grand personnage. Cependant, autour de ses jeunes ans, ce n’était que douceur et délicatesse. J’ai montré sa mère et ses deux sœurs penchées sur lui. Ses yeux noirs exerçaient une fascination. Que serait-il de cet enfant dont on ne pouvait déjà supporter le regard et dont on redoutait la fragilité, car la mort avait failli le prendre à quelques mois d’une entérite infantile ? En hâte, ses parens avaient dû l’emmener en Suisse, puis à Hyères, et lui composer une atmosphère de serre chaude. Gâté, choyé, soigné par des femmes, comme Achille à Scyros parmi les filles de Lycomède, ne garderait-il pas toute sa vie l’empreinte d’une éducation trop amollissante ? Le voici avec ses cheveux bouclés, une gentille petite robe de bonne coupe, trop joli, trop frêle, un air de princesse. Son père a la sensation qu’on fait avec lui fausse route, qu’il faut en hâte couper court à cet excès de tendresse. Il le prend sur ses genoux. Une scène de rien, une scène décisive va se passer :

— J’ai presque envie de t’emmener avec moi, là où je vais.

— Où allez-vous, papa ?

— Là où je vais, il n’y a que des hommes.

— Je veux aller avec vous.

Le père semble hésiter et prendre un parti :