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comme un morceau d’acier, les bras collés le long des jambes, les mains tendues, les doigts fortement serrés ; la tête immobile, haute, comme décollée du tronc, le visage d’un jaune d’ivoire ; le front sans rides, les lèvres pincées, creusant deux sillons autour de la bouche ; les yeux comme deux boules noires semblent sortir de leur orbite, lancent des feux aveuglans d’une fixité absolue. Il semble qu’il va foudroyer son adversaire ; il garde un sang-froid imperturbable. C’est une statue d’une froideur de marbre. On devine quel orage terrible gronde en lui[1]… »

Bachelier, il s’oriente vers les sciences, ambitionne l’Ecole polytechnique, entre dans la classe de mathématiques spéciales. Il avait, tout petit, manifesté des aptitudes exceptionnelles pour la mécanique, un esprit d’invention qui, on l’a pu voir, servait à ses farces de collégien. À quatre ou cinq ans, n’avait-il pas construit un lit de papier qu’il faisait monter par le moyen de ficelles et de réglettes-poulies ? — Il passait des heures entières, dit son camarade de Stanislas, le lieutenant Constantin, à chercher un problème de mathématiques ou à étudier une question qui l’avait séduit, sans se soucier de ce que l’on faisait autour de lui ; s’il avait trouvé la solution de son problème ou appris quelque chose de nouveau, il était satisfait et redescendait alors dans le temps présent. Tout ce qui avait trait aux sciences l’intéressait particulièrement. Son grand plaisir était de se rendre aux manipulations de physique ou de chimie ; là, il se livrait à toutes sortes d’expériences que lui suggérait son imagination. Un jour, il lui arriva de fabriquer un mélange détonant qui provoqua une explosion formidable, sans autre accident d’ailleurs que quelques vitres brisées…

Ses choix de lectures révèlent les mêmes tendances. Il n’aimait guère à lire, et ne recherchait que les livres d’aventures où sa nature belliqueuse et ses sentimens d’honneur et de loyauté pouvaient s’alimenter. Ses préférences allaient aux œuvres du commandant Driant. Même pendant son année de mathématiques, il les relut. Au retour d’une promenade, quelque jeudi soir, il vint frapper au bureau du préfet, quêtant un livre. C’est la Guerre fatale, la Guerre de demain, l’Aviateur du Pacifique, etc. « Mais vous l’avez déjà lu ? — Ça ne fait rien. »

  1. Notes inédites de l’abbé Chesnais.