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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/311

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— Si vous m’aidiez, je ne serais pas ajourné.

— Et comment ?

— Un ancien officier a des relations dans l’armée. Vous parleriez pour moi.

— Je veux bien.

M. Guynemer fait à son tour le voyage de Bayonne. Dès cette date, dès le premier jour de la guerre, il s’est promis de ne jamais contrarier le service militaire de son fils, de le favoriser même en toute occasion. Il tiendra parole, on verra dans la suite au prix de quels tourmens. Le commandant de recrutement entend sa requête. C’est l’heure des enthousiasmes rapides : il a subi bien des assauts, calmé bien des exaltations importunes ou impossibles : « Monsieur, répond-il, je prends, croyez-le, tous ceux qui peuvent servir. C’est à l’ancien officier que je m’adresse : en votre âme et conscience, estimez-vous votre fils capable de porter le sac et de faire un fantassin ? — Je ne puis l’affirmer. — Ferait-il un cavalier ? — Il ne supporte pas le cheval à cause de son ancienne entérite. — Alors, vous voyez bien : il convient de l’ajourner. Fortifiez-le : plus tard on le prendra, la guerre n’est pas finie. »

Pour la seconde fois, Georges se voit refusé, car il a assisté à l’entrevue. Il rentre avec son père à Biarritz, pâle, muet, douloureux, dans un tel état de colère et d’amertume que son visage en est décomposé. Rien ne le console, rien ne le distrait. Par ces magnifiques journées d’août, la mer est toute lumière et la plage invite à jouir des molles heures d’été : il ne va pas à la plage et méprise la mer. Ses parens inquiets se demandent si, pour sa santé même, il ne convient pas de désirer son dangereux départ. De toutes façons, il faut qu’ils soient déchirés.

Pas une seule fois, depuis le jour de la mobilisation, Georges Guynemer n’a eu d’autre pensée que celle-ci : servir. Servir n’importe où, n’importe comment, dans n’importe quelle arme, mais partir, aller au front, ne pas rester là comme ces étrangers qui n’ont pas quitté Biarritz, comme ces vieillards ou ces enfans inutilisables qui, maintenant, sont tout ce qui reste de la population mâle. « Dussé-je me coucher au fond d’un camion automobile, je veux aller au front : j’irai, » a-t-il écrit à son ancien préfet de Stanislas. On va voir ce que peut cette volonté tendue.

Les trains ont emporté les premières recrues. C’étaient des