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Racine, tout le chœur des grands écrivains jouait la pièce officielle et majestueuse. L’illusion était parfaite : nous apercevions un monde sublime et pur ; les choses basses ou excessives avaient disparu de la vie humaine. Les passions étaient contenues sous la discipline du devoir. Jusque dans ses momens extrêmes, la nature, désespérée, subissait l’empire de la raison et des convenances !  » Puis, tout aussitôt, le critique nous rappelle que les coulisses du théâtre offraient un autre spectacle, que la nature humaine y trouvait sa revanche et que Saint-Simon est le peintre incomparable de ces coulisses ! — Soit, mais l’inspiration essentielle de l’art et de la littérature classiques n’en était donc pas moins le culte de la discipline, du devoir, de l’empire sur soi-même, des convenances et de la raison, nous venons de l’entendre dire. Or, expliquer une telle inspiration par la tendance à l’abstraction ou par les dispositions oratoires du tempérament, c’est là, on en conviendra, une entreprise qu’il est difficile de mener à bon terme, le talent d’exposition le plus brillant y fût-il constamment employé.

Six mois encore, et Mme de La Fayette allait fournir à l’auteur des Essais de critique et d’histoire l’occasion de définir involontairement l’esprit classique par la conception moralement aristocratique de la vie et non plus seulement par les attitudes physiquement ou tout au plus intellectuellement aristocratiques des habitués de salon, comme il a si souvent tenté de le faire. Que nous montre-t-il en effet dans les romans de cette femme distinguée par l’esprit et par le cœur ? Des princes et des princesses d’âme grande autant que de majestueuse contenance. L’amour, la jalousie atroce, les angoisses suprêmes du corps brisé par la maladie de l’âme, tout s’adoucit, tout s’estompe, dit-il, en cette atmosphère de paisible fiction. Mme de La Fayette ne s’abandonne pas comme une artiste ou comme une actrice aux flots orageux de l’affectivité déchaînée ; elle se contient comme une grande dame et comme une femme du monde, — nous dirions comme une chrétienne avant tout. — Les personnages qu’elle crée entrevoient les tempêtes et les transports possibles de la passion qui les agite ; mais, au même moment, ils en détournent les yeux parce qu’ils entendent rester maîtres d’eux-mêmes !

Considérons plutôt Mme de Clèves en particulier, poursuivi Taine ; elle est sans cesse en garde contre les impulsions de son