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appuyaient du nom de Dieu. Mais, répondrions-nous, le nom seul est ici changé de la Divinité dont on entend monopoliser l’alliance. La raison, telle que la conçoivent les fils spirituels de Rousseau, n’a pas en effet grand’chose de commun avec la faculté que les âges classiques désignent de ce nom respecté, avec l’expérience sociale accumulée et synthétisée de l’espèce ; elle est devenue entre leurs mains un fétiche capable de patronner leurs revendications de pouvoir : elle n’est guère que leur affectivité sublimée et projetée dans les nuages après avoir été grimée tant bien que mal à la ressemblance de cette puissance psychique de bon renom qui est la Raison véritable.

De là, entre les ouragans mystiques du passé et celui de 1793, certaines divergences superficielles qui ont fait obstacle au regard, pourtant si pénétrant, de Taine, lorsqu’il a voulu scruter la mentalité jacobine. « En étudiant les Puritains de 1649, écrivait-il à Dumas fils le 21 mai 1878, j’ai pu voir l’aliénation mentale, mais accompagnée d’images et avec troubles de conscience. Ici (dans la France de 1793), la folie est sèche, abstraite, scolastique : on dirait de purs pédans infatués de théologie verbale… Ce sont les plus étonnans spécimens de délire lucide et de manie raisonnante !  » Eh ! Rousseau n’avait-il pas, objecterions-nous, ses visions chéries et la compagnie de « nos habitans, » ces fantômes fallacieux qui sans doute escortaient également ses disciples terroristes dans leurs promenades champêtres et dans leur rêve d’idylle sociale imminente ? Ces mystiques étaient certes dégagés jusqu’à un certain point du cadre des représentations chrétiennes traditionnelles, et leurs visions n’évoquaient plus des prophètes ou des saints : ils étaient malgré tout bien autre chose que des classiques poussant à son dernier terme logique la pensée d’un Bossuet ou celle d’un Boileau !


Nous arrêterons ici cette discussion qui nous a paru nécessaire parce que la retentissante assertion de Taine, soutenue par tout l’art prestigieux de son exposition énergique et brillante, n’a pas laissé de créer quelque confusion dans les esprits de bonne volonté depuis quarante ans. Un certain anti-intellectualisme d’inspiration romantique a pu s’en servir de façon plus ou moins consciente, et Taine lui-même, si attaché aux conquêtes de l’intelligence humaine, aurait protesté contre l’abus qui a été