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longue haleine en était alors à ses premiers chapitres ; mais il n’est jamais revenu depuis sur cette objection de principe, à notre connaissance, Brunetière éleva de son côté quelques doutes sur la formule de Taine, dès 1882, c’est-à-dire bien avant sa propre évolution vers le traditionalisme. Enfin, un plus récent érudit, qui put juger non seulement l’ensemble de l’ouvrage, mais son influence de plus de vingt ans, et qui prit la défense de Taine contre certaines critiques retentissantes, l’héroïque et très regretté Augustin Cochin, a écrit que l’auteur des Origines avait échoué dans son explication psychologique de la Révolution française, bien que son génie d’artiste et de poète lui eût permis de tracer un admirable tableau de cette période historique. Tel est aussi notre sentiment, mais nous avons essayé de le fonder sur un examen d’ensemble du point de vue de Taine, et nous avons indiqué en même temps, dans ses grandes lignes, la solution du problème que nous préférons à la sienne.

Nous concédons que l’esprit jacobin fut jusqu’à un certain point une hérésie de l’esprit classique rationnel, à la condition de maintenir qu’il est avant tout une hérésie du christianisme traditionnel. Adoptant de son mieux les apparences de l’une et parfois de l’autre doctrine, il a, par ambition conquérante, retourné pour ainsi dire de bout en bout leur enseignement psychologique essentiel. Il a proclamé l’homme raisonnable et même bon par nature, au lieu de le montrer, avec les classiques et avec les chrétiens, comme gouverné dès son origine par la volonté de puissance, et tout d’abord irrationnel en ses entreprises conquérantes, jusqu’à l’heure où une expérience sociale chèrement acquise aura lentement rationalisé son effort ininterrompu vers le pouvoir. Taine avait dès longtemps adhéré à cette psychologie clairvoyante. Aussi, bien qu’il ait été entraîné par les trop hâtives conclusions de sa jeunesse à surfaire le rôle de l’esprit classique dans les origines de la France contemporaine, a-t-il travaillé pour sa part à restaurer l’esprit classique par l’élimination, ou tout au moins par la plus large rationalisation du mysticisme de Rousseau qui continue de fournir leur religion à quelques démocraties contemporaines.

Ernest Seillière.