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elle-même pleine d’idylle et de drame, d’héroïsme et de douleur. Le carrousel brillant des sorcières chaussées de velours est amusant, vu du dehors, « mais au fond, c’est un drame triste ; tous ces fous en habits d’arlequin dansent pour une miette de bonheur. » Tous les périls à la fois menacent le papillon : la pluie, le vent, l’orage, l’araignée, l’ichneumon féroce, et le chasseur qui crucifie ses victimes. « La douleur nous est donnée avec la vie ; c’est toute la faveur du Créateur. La nature bienveillante martyrise ses créatures. Mais la pitié, la compassion ne fleurissent que dans le cœur de l’homme. »

La leçon que donne la destinée du papillon est de douleur et de pitié, mais c’est aussi une leçon de vaillance. Rien n’est courageux comme la petite proserpine, la fée des abîmes, qui chevauche l’or age. Rien d’indomptable comme la vanesse rose qui monte droit vers le soleil. Peu importe qu’elles soient perfides, l’une et l’autre, qu’elles entraînent leurs prétendans vers la tempête et vers la mort, lorsque se déroule la tragédie du vol nuptial : toute la passion idéaliste de Prométhée, tout l’héroïsme chevaleresque des Ballades se réfléchissent dans ce miroir minuscule qu’est une âme de papillon : « Vanesse, reine cruelle, séductrice perfide et charmante, ô belle Dame, béni soit ton nom ! Et que vers ton corps merveilleux, ô femme incomparable, montent dès maintenant et à jamais, et l’honneur et l’adoration ! »

Reconnaître dans la vie humaine, comme dans celle des papillons, « une malédiction universelle sur laquelle pleure une bénédiction divine, » rassembler son courage pour « bénir ce qui fleurit, ce qui aime, ce qui crée, » c’est à cette affirmation de l’existence, à cette acceptation de la douleur en rançon de la beauté qu’aboutit le pessimisme viril d’un Spitteler. Dans une même émotion, les Chants de cloches, célèbrent « la douleur humaine embellie par l’esprit. » Une mélodie de cloche accompagne et transfigure toutes les heures du jour et de la vie. Les sons de cloche, comme des écoliers, se bousculent et se poursuivent le long du chemin, jusqu’à l’instant où le génie du clocher les rappelle tous, d’une voix grondeuse. D’autres nouent autour du clocher une ronde aérienne, une souple guirlande de jeunes filles. Et quand vient midi, le Roi de Midi et le duc des Cloches tournent à cheval dans les airs, gravement, sur un tapis sonore déployé en leur honneur.