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multipliée d’engins ? Un engin n’est rien si on l’emploie mal ; mille engins mal manœuvres seront écrasés par un seul d’entre eux si un œil clair, devant un cerveau juste, le guide. Henri Poincaré a dit qu’une accumulation de faits n’est pas plus la science qu’un tas de pierres n’est une maison. Parallèlement on peut affirmer que l’art de la guerre n’est pas plus une accumulation de machines qu’un tas de pierres n’est une maison. Cette guerre est industrielle, certes, mais elle est surtout, comme toutes les guerres, cérébrale, spirituelle, si j’ose dire. La fermeté des âmes, l’éclat des pensées directrices y comptent plus encore que celles de l’acier. Vérités trop oubliées peut-être.

L’attaque foudroyante des tanks anglais sur le Cambrésis nous montre dans quelle voie il faudra dorénavant diriger l’emploi de ces engins. Ce qu’il convient de dire ici, c’est que cette conception que viennent, après combien de résistances, d’employer nos alliés britanniques, elle est née chez nous. C’est un technicien français dont les efforts tenaces abordaient dès 1914 la question des chars d’assaut et ne devaient plus la lâcher jusqu’à l’heureuse solution, c’est M. J.-L. Breton qui, il y a déjà un an, a démontré que les conditions favorables à la préparation d’artillerie sont précisément celles qui sont défavorables à l’emploi des chars d’assaut. Il en a déduit que, par conséquent, ceux-ci doivent être employés sans celle-là en profitant (comme l’ont fait les Anglais) d’un temps de brume ou de brouillard pour augmenter l’effet de surprise.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faille point employer simultanément la préparation d’artillerie, mais celle-ci doit avoir lieu ailleurs. Il me semble que des attaques synchrones, habilement alternées, se produisant en divers points d’un vaste front et précédées, les unes de préparation au canon, les autres de chars d’assaut, par temps propice, seraient d’un effet formidable avec une répartition convenable des uns et des autres, une utilisation stratégique bien prévue des résultats obtenues. Mais il faudrait pour cela, d’abord que les conceptions si justes et si brillantes de M. J.-L. Breton sur l’emploi des tanks ne trouvassent pas moins leur chemin dans leur pays d’origine que chez nos alliés.

Il faudrait enfin et surtout, — ceci est une tarte à la crème, un leitmotiv, mais, hélas ! nécessaire, — que tous les fils directeurs du mécanisme tactique fussent concentrés dans une main unique.

Il ne faudrait point croire d’ailleurs que le rôle tactique du tank, tel que je viens de le définir, soit limité seulement à l’écrasement des réseaux de fils de fer et à l’écrasement des tranchées. Bien manœuvré,