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autour de la table, trois ou quatre couples ; sur la table, deux candélabres, quelques flacons dorés et deux compotiers de fruits. Entrain factice, fausse gaieté, brindisi de rigueur. Profitant d’une absence momentanée de la maîtresse de maison, l’une des invitées se jette au cou du maître, et Béatrice, revenue à l’improviste, folle de colère et de douleur, de se venger aussitôt avec un des convives.

Troisième acte. La déchéance. Après le palais, un bouge, où Béatrice, tombée à l’état de fille de Bohême, chante et danse devant des pêcheurs avinés et brutaux. Lorenzo l’y retrouve et, repentant, s’efforce en vain de la reconquérir. Pour elle, deux de ses beaux galans en viennent aux mains et même aux couteaux. L’un tombe, frappé à mort, et les autres prennent la fuite. Cela, c’est la péripétie décisive. La vue de la mort et du sang a, comme on dit, « retourné » Béatrice. Le spectacle du manquement atroce au cinquième commandement éveille en son âme l’horreur et la honte d’avoir elle-même enfreint le sixième et, fondant en larmes de repentir, elle reprend le chemin du couvent.

Elle y rentre furtive (dernier acte) et d’abord elle s’y tient cachée. Cérémonies, cantiques, oraisons, tout comme au premier tableau. La fausse Béatrice, la remplaçante divine, y prend part. Abusées, mais plus édifiées encore par sa ferveur nouvelle, ses compagnes n’espèrent désormais que de son intercession le retour de l’image, mystérieusement disparue, de la Vierge tutélaire. Et leur espérance ne sera pas trompée. Entre la pécheresse et la rédemptrice, demeurées seules, tout s’explique et s’arrange promptement. Elles reprennent leur ancienne place, l’une au pied de l’autel et l’autre au sommet. La pieuse supercherie est consommée. Et sans doute il est bon que les bruits du théâtre, fût-ce du théâtre de l’Opéra-Comique, s’arrêtent au seuil des couvens. L’histoire de Béatrice risquerait d’inspirer à quelque jeune moniale, encore mal assurée de sa vocation, avec une dangereuse confiance en des grâces exceptionnelles, le goût d’une aventure analogue et qui pourrait moins bien finir.

Quelqu’un a dit de la partition de Béatrice qu’elle est une erreur laborieuse. Il y a du vrai, pourvu qu’il demeure bien entendu que dans l’œuvre total de M. Messager cette erreur ne fait pas compte. Elle nous paraît tenir au choix d’un sujet, non pas trop grand, mais trop gros, et trop mêlé de mélodrame. Religieuse et prostituée, palais et mauvais lieu, seigneurs et bandits, personnages, décor, tout ici, jusqu’au style parfois, sent la vieille antithèse, les vulgaires contrastes et la défroque usée du romantisme, quelque chose comme l’« idéal »,