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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/563

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Lorsque le surmenage d’une telle existence le contraint au repos, il erre chez lui comme une âme en peine. En vain ses parens, ses deux sœurs qu’il appelle ses « gosses » comme s’il était leur aîné, s’ingénient-ils à le distraire. Cette maison qu’il aime tant, qu’il a quittée hier, où il revient si joyeux, ramenant avec lui, comme un lévrier bondissant, sa jeune renommée, ne lui suffit plus. Il y est heureux, et il y étouffe quand les jours sont clairs. Quand les jours sont clairs, il semble un écolier pris en faute : pour un peu, il se condamnerait. Alors sa sœur Yvonne, qui l’a compris, passe avec lui un marché :

— Que te manque-t-il chez nous ?

— Ce que vous ne pouvez pas me donner. Ou plutôt si, tu peux me le donner. Promets-le-moi.

— Sans doute, pour que tu sois heureux.

— Je serai le plus heureux des hommes.

— C’est d’avance accordé.

— Eh ! bien, voilà. Tous les matins, tu regarderas le temps. S’il est vilain, tu me laisseras dormir.

— Et s’il est beau ?

— S’il est beau, tu me réveilleras.

Elle craint de demander la suite, elle devine l’usage d’un beau jour. Comme elle se tait, il fait la moue avec cette grâce câline qui séduit tous les cœurs :

— Tu ne veux plus ? Je ne pourrai pas rester : c’est plus fort que moi.

— Mais, c’est promis.

Et pour qu’il consente à rester, pour qu’il achève, tant bien que mal, de se guérir, la jeune fille, chaque matin, ouvre sa fenêtre et inspecte le ciel, faisant des vœux tout bas pour que d’épais nuages le couvrent. « Nuages qui vous tenez là-bas, immobiles, au bout de l’horizon, accourez tous : qu’attendez-vous pour venir, et me laisserez-vous éveiller mon frère qui repose ? » Les nuages sont indifférens, et il faut appeler le dormeur. Georges s’habille en hâte, sourit au ciel limpide, et roule en automobile vers Vauciennes où il réclame son appareil. Il monte, il part, il vole, il chasse l’ennemi et il revient déjeuner à Compiègne.

— Tu peux nous quitter ainsi ? dit sa mère. Cependant tu es en congé.

— Oui, l’effort de partir est plus grand.