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étaient ordinairement confiées à Védrines, qui en accomplit sept. L’heure n’est pas venue d’en révéler le détail. Elles étaient spécialement dangereuses : il fallait atterrir en territoire occupé et revenir. La première demanda trois heures de vol. Il était parti dans la tempête, comme le contre-ordre arrivait à cause du temps. Quand il descendit au lever du jour, moteur ralenti, sans bruit, en vol plané, sur notre territoire envahi, le cœur lui battait fort. Des paysans qui gagnaient leurs champs le virent repartir et, reconnaissant les trois couleurs, eurent un mouvement de surprise, puis tendirent les mains. Cette mission valut au sergent Guynemer, — il avait été promu sergent peu auparavant, — sa deuxième citation : « A fait preuve de vaillance, d’énergie et de sang-froid en accomplissant comme volontaire une mission spéciale importante et difficile par un temps d’orage. » — « La palme a de la valeur, reconnaît-il dans une lettre à ses parens, car la mission a été dure. » On peut le croire : il s’y entend. Au retour, un aviateur anglais le prend pour cible, puis le reconnaît et lui adresse en l’air de grands gestes d’excuse.

Des reconnaissances (avec le capitaine Siméon), assez agitées, — au-dessus de Saint-Quentin un jour, ils sont attaqués par un fokker, et leur mitrailleuse ne fonctionne pas, en sorte qu’il leur faut essuyer 200 coups de feu à 100, puis à 50 mètres, et ils ne se tirent de la poursuite qu’en piquant dans un nuage, non sans avoir eu un pneu crevé, — des bombardemens de gares et d’entrepôts trompent mal sa fièvre de chasser. L’exploration, le nettoyage du ciel, hors cela, rien ne lui suffit. Le 6 novembre, il livre à 3 000 mètres d’altitude, au-dessus de Chaulnes, un combat épique à un L. V. G. (Luft-Verkehr-Gesellschaft), 150 HP. Parvenu à se placer à 3 mètres au-dessous, déjà il rit de voir son adversaire précipité, quand la mitrailleuse refuse son service. Aussitôt il vire sur l’aile, mais si près de l’autre qu’il l’accroche. Va-t-il dégringoler ? Un bout de toile est arraché, mais l’appareil tient bon. Comme il s’écarte, il voit l’énorme mitrailleuse ennemie braquée sur lui. Une balle lui frôle la tête. Il repique sous le Boche, et celui-ci se sauve. « Tout de même, ajoute Guynemer gaîment, si jamais je suis dans une épouvantable purée et que je doive me faire cocher de fiacre, j’aurai des souvenirs peu banals : un pneu crevé à 3 400 mètres, un accrochage à 3 000 mètres. Ce sale