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taux. L’armée française défile presque entière dans cette extraordinaire épopée et Guynemer, blessé, pleurant de rage, n’est pas là…

Mais il y eut, dans la Grande Guerre, une autre période où le groupement de nos escadrilles de combat et leur emploi offensif nous valurent dans la lutte aérienne une supériorité triomphale, et ce fut la bataille de la Somme, spécialement dans ses trois premiers mois. Période héroïque et resplendissante, où nos aviateurs surgissaient dans le ciel, semant la panique et l’effroi, pareils aux chevaliers errans de la Légende des siècles. Il semble que les vers de Victor Hugo les décrivent, et que leurs vertigineuses randonnées se prêtent mieux encore à cette évocation que les trop lentes chevauchées d’autrefois :


La terre a vu jadis errer des paladins ;
Ils flamboyaient ainsi que des éclairs soudains,
Puis s’évanouissaient, laissant sur les visages
La crainte, et la lueur de leurs brusques passages…
Les noms de quelques-uns jusqu’à nous sont venus…
Ils surgissaient du Sud ou du Septentrion,
Portant sur leur écu l’hydre ou l’alérion,
Couverts des noirs oiseaux du taillis héraldique,
Marchant seuls au sentier que le devoir indique,
Ajoutant au bruit sourd de leur pas solennel
La vague obscurité d’un voyage éternel,
Ayant franchi les flots, les monts, les bois horribles,
Ils venaient de si loin qu’ils en étaient terribles,
Et ces grands chevaliers mêlaient à leurs blasons
Toute l’immensité des sombres horizons…


Ces paladins, qui erraient alors au-dessus des plaines désolées de la Somme, non plus sur la terre, mais dans le ciel, montant des chevaux ailés, qui surgissaient, dans un bruit sourd, du Sud ou du septentrion, leurs noms traverseront les temps, comme ceux de nos vieilles épopées. On dira : c’était Dorme, c’était Heurtaux ; on dira : c’était Nungesser, Deullin, Sauvage, Tarascon, Chainat ; on dira : c’était Guynemer. Les Allemands, sans savoir leurs noms, les reconnaissaient, non plus à leurs armures et à leurs coups d’estoc, mais à leurs appareils, à leurs manœuvres, à leurs méthodes. Devant eux la plupart fuyaient éperdument le combat, se jetant au loin dans leurs lignes où ils n’étaient pas assurés de trouver le salut. Ceux qui