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caillou. Il le tire à bout portant, au risque d’essuyer son feu le premier, au risque même de l’accrocher. Mais là, sa sûreté de manœuvre veille pour le dégager. S’il a manqué son coup de surprise, il ne rompt pas le combat comme la prudence l’exige. Il revient à la charge, il refuse de décrocher, il tient l’adversaire, il le veut, il l’a.

Sa passion ne faiblit jamais. Les jours de pluie, quand il serait déraisonnable et inutile de voler, enragé, il erre autour des hangars où reposent les chevaux ailés. Il ne résiste pas, il entre, il monte le sien. Installé dans sa carlingue, il manie les commandes. Avec sa monture fidèle il a de mystérieux colloques.

En l’air, il a plus de force de résistance que les plus robustes. Ce frêle, ce malingre Guynemer, ajourné deux fois pour faiblesse de constitution, ne renonce jamais. À mesure que l’aviation a plus d’exigences, à mesure que l’altitude la rend plus épuisante, Guynemer semble allonger ses vols jusqu’à ce que le surmenage, la dépression nerveuse, l’obligent à s’en aller ailleurs prendre un peu de repos dont il souffre. Mais brusquement, avant qu’il ait goûté ce repos nécessaire, il le jette comme du lest, et revient. Il surgit dans les airs, pareil au faucon de la légende de saint Julien l’Hospitalier : « La bête hardie montait droit dans l’air comme une flèche et l’on voyait deux taches inégales tourner, se joindre, puis disparaître dans les hauteurs de l’azur. Le faucon ne tardait pas à descendre en déchirant quelque oiseau, et revenait se poser sur le gantelet, les deux ailes frémissantes[1]. » Ainsi Guynemer, vainqueur, vient-il, frémissant, se poser sur le champ d’aviation. En vérité, un dieu le possède.

À part cela, c’est un gamin charmant, tendre, simple et gai.

Henry Bordeaux.
  1. Flaubert.