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de plus en plus fréquentes venaient le sommer de décréter des mesures iniques, stupides. Celle qu’elles exigeaient maintenant, c’était le renvoi, d’équipes d’ouvriers étrangers auxquelles il avait fallu recourir aux momens d’urgence. Les ouvriers français, importunés de cette concurrence nécessaire, demandaient à en être débarrassés per fas et nefas. Emile Ollivier refusa de les satisfaire : « Voulez-vous, oui ou non, leur dit-il, vous montrer dignes de la liberté ? Vous ne demandez, dites-vous, que l’expulsion des ouvriers étrangers ? Nous vous avons déjà accordé ce qui pouvait paraître fondé dans cette réclamation en préparant l’embarquement de tous les étrangers nomades qui encombrent notre ville. Mais nous refusons complètement de prendre aucune mesure contre ceux qui y sont sérieusement établis. Vous les avez appelés dans les jours prospères parce qu’ils vous étaient indispensables, gardez-les dans les jours difficiles parce qu’ils ont besoin de vous… Il ne suffit pas que la fraternité flotte sur nos bannières, il faut qu’elle descende en nous et qu’elle vive en nos actes ! » Cette fois encore, il eut gain de cause. Mais un incident nouveau lui fit voir combien cette victoire était précaire.

Chaque jour lui arrivait une volumineuse correspondance dans laquelle se trouvaient, en nombre égal, des congratulations, des demandes de places et des dénonciations. Ses secrétaires répondaient aux congratulations par des remerciemens, aux demandes de places par des échappatoires, aux dénonciations en les renvoyant à leurs auteurs. Un jour, dans ce tas de lettres, ils en trouvèrent une qu’ils crurent devoir lui présenter. Elle disait : « Je suis un pauvre jardinier, je viens d’avoir un enfant ; si vous consentiez à être son parrain, je serais le plus heureux des hommes. » Emile Ollivier accepta et alla, dans un petit village des environs de Marseille, remplir solennellement son office de parrain. Puis, emporté par les événemens, il ne songea plus à ce détail.

Peu de temps après, le 18 juin, à dix heures du soir, il venait de rentrer dans la préfecture vide et silencieuse, secrétaires et domestiques étant allés jouir de la fraîcheur du soir, et il s’était retiré dans son appartement quand il entendit une rumeur formidable. Deux larges terrasses dominant la cour intérieure permettaient de voir d’en haut ce qui se passait au dehors. Emile Ollivier y court, aperçoit une foule hurlante groupée