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conseillers, hommes religieux, qui veulent niveler les petits peuples sous le rouleau germanique et étouffer leurs aspirations nationales, comme ils ont tenté de faire en Alsace-Lorraine, en Pologne et chez les Danois du Sleswig.

Malgré leur piétisme rigoureux, les Provinces-Unies et la Suède ont accordé autrefois aux penseurs et aux savans une hospitalité où ils respiraient un air plus salubre et plus propice à leurs travaux. N’est-ce pas Descartes qui vint chercher en Hollande le calme et la liberté nécessaires à ses méditations, avant d’aller mourir à Stockholm auprès de Christine de Suède ? La France est le grand foyer qui a répandu sur les trois derniers la clarté du génie français. Mais tout en admirant son action incomparable, il serait injuste de méconnaître la valeur de foyers plus modestes, d’où la pensée et la critique ont rayonné au dehors avec utilité.


IX

La langue d’une grande nation, parlée, polie, colportée par des millions de bouches, prend nécessairement un tout autre essor que celle qui ne résonne qu’entre des frontières Limitées. Véhicule de sa pensée et de sa civilisation, elle les transporte aux derniers confins du monde. La langue du petit peuple grec, s’imposant aux maîtres rudes de l’Hellade, cultivée ensuite avec amour comme la plus belle fleur littéraire de l’antiquité, ne sera jamais qu’une merveilleuse exception. Cependant, à mesure qu’elle est plus connue, la littérature des nations secondaires inspire le désir d’une pénétration plus intime et plus profonde, tant elle renferme, ainsi qu’un vase longtemps clos, de saveur et de parfum qui ne doivent rien à des emprunts étrangers. Quelquefois même cette littérature originale s’est répandue au loin et s’en est allée enrichir celle des peuples voisins. Nous avons ainsi assisté à l’invasion de la scène contemporaine par le théâtre Scandinave. Son succès ne fut nulle part plus incontesté, ni son influence plus sensible qu’en Allemagne, où le public se laissa rapidement séduire par le mysticisme scientifique d’Ibsen et de Björnson. Contraste piquant, l’art dramatique indigène, en attendant qu’il domine le monde avec les autres enfans du génie teuton, n’est pas parvenu à se dégager de l’imitation et de l’empreinte du génie étranger.