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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/653

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immortelle de la Reine sévère ; et le long de la voie, galopant sur un coursier blanc, Imago elle-même, l’Auguste Fiacnée, le rêve invincible et triomphant : « J’ai vu, murmure-t-elle, ta constance et ta fidélité parmi le deuil et la souffrance… Je t’ai vu sortir immaculé des remous de ta passion ; c’est pourquoi, de joie, j’ai posé sur mes cheveux cette guirlande… Tes larmes ont lavé ta folie. » De l’âme torturée monte alors un cri de reconnaissance : « Sainte reine de ma vie, ton nom est réconfort et miséricorde ! Malheur à moi, si je ne t’avais point ! Heureux suis-je de te posséder ! »

Imago éclaire sur bien des points le Prométhée. Transposée dans la réalité vulgaire, et à cause de cela dans le mode humoristique, c’est la même crise morale qui nous y est décrite. Le calcul ambitieux qui consiste à sacrifier le bonheur présent à une grandeur ultérieure y est, somme toute, justifié ; mais tout le livre est plein du cruel débat intime qui précède ce choix, et lui succède aussi. Dans le Prométhée déjà, les pensées du solitaire élevaient parfois en lui un tumulte de voix discordantes. Ici, Victor est sans cesse en proie à « l’arche de Noé » intérieure qu’il gourmande et morigène en vain : la Raison le tire par la manche ou lui tape sur l’épaule ; l’Imagination, dame Anastasie Fantaisie, l’étourdit d’un défilé, d’images ahurissantes ; le Vouloir, en chevalier au Lion, parade à tort et à travers ; et le Cœur, pauvre lapin tremblant qu’on saisit aux oreilles, ne répond à tous les raisonnemens que par un « Couic ! » piteux. Spitteler a dit plusieurs fois son horreur du roman psychologique moderne et du lyrisme sentimental[1] ; il réussit dans Imago ce tour de force de présenter l’analyse d’une crise morale sous forme symbolique, plastique même, sous forme d’une allégorie toujours vivante et dont le sens profond, ainsi qu’il l’a dit ailleurs, « glisse sous l’action, semblable au reflet dans l’eau d’un navire à voiles qui marche. » Il faut remonter, comme on l’a dit spirituellement, à la Vita nuova, pour retrouver ce mélange intime de réalisme et de mysticisme, cette peinture allégorique et fidèle de ce que peut une image féminine adorée sur une sensibilité et une destinée de poète[2].

  1. Voir, dans les Vérités souriantes, les chapitres sur la Poésie virile, le Style réaliste, te Style idéaliste, etc.
  2. Le rapprochement est de Robert Faesi, déjà cité.