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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/656

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fleuris de gentiane ou d’anémone, les taillis de framboisiers, les crevasses où se montrent à nu « le granit et le gneiss, ossemens blancs du passé. » Plus haut encore s’épanouit le ciel d’Ouranos, région métaphysique où l’on n’arrive que porté sur l’aile des hippogriffes, — région de rêve où paissent les chevaux du soleil et les biches de la nuit, sous les arbres que hantent l’oiseau Argus et In chimère rose. Grave tentation, pour des héros, que ce jardin paradisiaque où règne le roi Ouranos, juste et sage, entouré de ses filles[1], les sept belles Amashpands, créatures d’innocence, de grâce et de bonté. Ceux qu’attend une tâche héroïque n’ont pas le droit de séjourner au pays du loisir heureux et de l’amour idyllique : le Paradis d’Ouranos est une halte délicieuse, il n’est pas le but[2].

C’est en plein ciel, au-delà des nuées, que le pays olympien déploie son golfe d’or au moelleux contour et sa montagne majestueuse « couronnée d’argent, chaussée de pourpre, assise au bord de la mer, l’épée en travers des genoux. » Les pèlerins y accostent en plein triomphe :


Ils contournèrent le rivage aux maisons nombreuses et entrèrent lentement dans le port, salués par des symphonies de trompes et de tambourins, parmi les vivats, les cris, le tumulte populaire. Des mille gondoles qui fourmillaient autour du navire montaient les dithyrambes passionnés et la vibration des cymbales ; et des Ménades hardies les suivaient à la nage, folâtraient autour du vaisseau et faisaient onduler leurs corps blancs ; soudain Mélissa, la plus belle, grimpa à bord, se hissa le long d’un cordage et, sautant dans la hune, détacha les nœuds compliqués de sa fauve chevelure entremêlée de perles et fit flotter au vent l’onduleuse toison, tout en lançant loin d’elle ceinture et colliers. Nue et blanche, avec de lents gestes voluptueux, elle jeta en riant ces paroles audacieuses : « Holà ! Choisissez-moi pour emblème et pour bannière ! C’est sous mon signe que vous entrerez à l’Olympe. Puissant est le destin, plus puissant le désir. La terre est sous vos pieds, mais plus haut que vos têtes rayonne la beauté. »


Après les fêtes solennelles de l’accueil, les députations de Prytanes, les cortèges de Dieux, d’Amazones et de Centaures,

  1. Autre exemple de la liberté dont use Spitteler à l’égard des mythes anciens : Ormuzd et ses ministres, les « Immortels bienfaisans » (Amshashpand, que Spitteler écrit Amashpand) transformés en un groupe de rieuses Péri…
  2. Zum Paradisse haben Helden nicht Behuf.