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bourbier peuplé d’anguilles où elle confesse plaisamment que « nul n’est dieu quand il pleut, » Pour mettre la discorde entre Héra et Zeus, Ananké envoie dans le cœur de la déesse de méchans petits vautours femelles, qui lui inspireront les caprices, les bouderies et les violences déraisonnables destinés à exaspérer le maître des dieux.

Ramené par cet expédient aux choses sérieuses, Zeus brusquement assagi conçoit le drame de la vie universelle où règnent les appétits sourds, « la lutte fratricide des créatures excitées par la faim tyrannique qui veut sa nourriture, la rivalité muette et sournoise des plantes qui, sous le sol, se disputent de leur pied crochu, le filet d’eau convoité. » Comme disait déjà le Satyre de Victor Hugo,


Il peignit l’arbre vu du côté des racines,
Le combat souterrain des plantes assassines.


Mais dans « cet enfer fardé de soleil, » ce grand charnier où les vivans s’entre-dévorent en toute innocence, un être apparaît, dont les beaux yeux regardent le ciel, — un être faible, de chair et de sang, lui aussi condamné à tuer et a manger pour vivre. Mais seul entre les créatures, il possède une flamme d’intelligence sur son front, une lueur de tendresse dans ses yeux. Il cherche, il doute, il souffre, il s’apitoie ; et sans doute il n’est pas ce Rédempteur universel que les animaux fascinés croient discerner en lui. Il suffit qu’il soit ce cœur pitoyable pour que toutes les créatures l’acclament -. « Dans ce monde farouche, plein de haine et d’inimitié, apparaît l’amour, se montre la pitié !… Un frère nous est né, un ami nous est donné, un cœur qui nous comprend, nous aime et sait nous plaindre. Vive l’Homme-Roi ! »

Qu’importe alors que Zeus fasse chez les hommes de tristes expériences, qu’il y voie acclamer son propre singe Hideux, accoutré de pourpre et vautré dans un carrosse, tandis que l’Olympien lui-même, déguisé en paysan, est déclaré fou et incarcéré comme tel ? Sa fureur qui menaçait d’exterminer la race humaine cède pourtant à ce profond soupir des animaux qui intercèdent pour l’homme. Dans cette race médiocre elle-même, il distingue une âme d’exception, une âme forte, une âme indomptable, un Héraklès incapable de plier devant aucun pouvoir humain ou divin, si prestigieux soit-il. Le poème de