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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/72

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depuis quelques jours un régiment de fusiliers marins allemands, venus de Brème et de Hambourg, via Thourout. À quelle fin, sinon en vue d’un débarquement ? Et quelle meilleure manière d’y parer que d’opposer marins à marins, suivant la formule homéopathique : similia similibus ! Mais, comme il ne s’agissait là, en somme, que d’une « éventualité toute problématique et plus ou moins lointaine, » le bataillon de Jonquières n’avait pas à craindre d’être envoyé en première ligne avant de s’être reformé. La flotte britannique tenait les dunes sous son feu ; devant Lombaertzyde nous avions des troupes de choc éprouvées, dragons, chasseurs, etc. sous les ordres du général de Buyer, commandant la 4e division de cavalerie ; les Belges ne faisaient pas mine de lâcher Ramscapelle ; le général Trumelet-Faber montrait enfin la plus grande confiance dans la division territoriale qu’il commandait et qui, composée de solides gars du Nord, avait donné sa mesure sous Bapaume, à Bucquoy notamment, où elle perdit son premier chef, le général Marcot, tué par un obus le 3 octobre 1914.

Comme le reste de la brigade à Loo[1], le bataillon de Jonquières allait donc demeurer provisoirement en réserve ; l’intendance pourrait procéder à son réquipement, les nouvelles recrues pourraient être instruites et entraînées. Oost-Dunkerque n’est pas un Eden, mais les horizons n’y ont point la déprimante monotonie de ceux de Dixmude ou de Steenstraete. Si, vers le Sud, s’étendait encore l’immense damier des polders, au Nord et à l’Est la dune moutonnait, large en certains endroits de plus d’un kilomètre et pareille avec ses déchirures, ses pics, ses entonnoirs, ses halliers de bouleaux nains et d’arbousiers, ses crêtes blanches comme la neige, à une Alpe en miniature. Puis, derrière cette dune, que la résille des oyats n’arrivait pas à fixer et dont les jeux du vent modifiaient continuellement la structure, il y avait la mer, la vraie mer, ses vagues, ses tempêtes et ses sourires. On entendait son grondement à l’heure du flux et, par les brèches ouvertes dans la muraille des sables, on voyait luire çà et là son opale. De rudes silhouettes de navires s’estompaient sur l’horizon, destroyers, monitors, dont la masse grise s’éclairait de feux brusques et roulait de sourds tonnerres. Entre leur ligne

  1. Moins les bataillons Mauros et Conti, détachés devant Dixmude.