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croyait pas que Louvel eût des complices. L’Empereur ne parut pas convaincu. Il reconnaissait que la rentrée du duc de Richelieu aux affaires, arrachée à son dévouement patriotique par les sollicitations du Roi, était susceptible de remédier au mal ; mais la position de ce ministre ne laissait pas d’être délicate, hérissée de difficultés ; parviendrait-il à tirer le pays de la situation dangereuse en laquelle il se trouvait ?

La Ferronnays s’attachant à rassurer Alexandre, celui-ci avoua que s’il était tourmenté par certaines choses qu’on lui mandait de Paris, il en était d’autres qui ranimaient sa confiance. Dans cette affreuse crise la population de Paris, la garnison, la garde royale s’étaient bien montrées ; la consternation et l’indignation avaient été générales.

Il convenait d’insister, dès le début de ce récit, sur la mentalité impériale en ce qui touche la France au moment où La Ferronnays débarquait en Russie. Sous des formes différentes, on la retrouvera par la suite chez les successeurs d’Alexandre ; elle caractérisera leur attitude envers notre pays, attitude soupçonneuse, allant sous le règne de Nicolas Ier jusqu’à la menace et fuite souvent de récriminations, de bouderies, de critiques, alternant avec des services reçus ou rendus, des remerciemens et des louanges, attitude capricieuse en un mot, jusqu’au jour où l’alliance franco-russe la transformera et stabilisera la confiance entre les deux gouvernemens.

Il n’est pas douteux que cette confiance, le souverain auprès de qui La Ferronnays était accrédité eût voulu l’acquérir ; il aimait la France ; il l’avait maintes fois, prouvé ; il était en outre convaincu que, dans l’intérêt de l’équilibre européen, il fallait qu’elle redevînt forte. Mais souverain autocrate, hors d’état de comprendre que les luttes des partis sont inhérentes au gouvernement représentatif, il s’inquiétait outre mesure de celles dont les péripéties se déroulaient dans les Chambres françaises ; il tenait pour empesté le vent qui soufflait de là jusque sur son empire. Lorsqu’on 1822 il constatait un relâchement de la discipline dans ceux de ses régimens rentrés de France, après l’invasion ; lorsque ses généraux lui dénonçaient comme suspects de tendances révolutionnaires des officiers qui avaient tenu garnison à Paris ou dans d’autres grandes villes du royaume, c’est à la France qu’il imputait la responsabilité de cet empoisonnement… Mais il le faisait sans colère ; il y avait de la