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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 43.djvu/879

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A la lumière de ce souvenir, il n’est pas téméraire de le soupçonner d’avoir caché ses véritables sentimens lorsqu’il affectait de regretter que l’Empereur lui eût imposé le fardeau du pouvoir.

Au cours des événemens que nous tirons de l’oubli, un péril redoutable montait autour de la dynastie dès Romanoff. Un complot se tramait contre elle dans l’armée, à l’instigation d’officiers rentrés de France après y avoir fait partie du corps d’occupation. Quelques actes révélateurs d’un mauvais esprit, constatés çà et là parmi les troupes, auraient pu le faire soupçonner ; mais on les avait considérés comme accidentels et passagers, dépourvus de gravité ; on croyait en avoir conjuré le retour par quelques mesures disciplinaires et par la dissolution de toutes les sociétés secrètes sur lesquelles le gouvernement avait pu mettre la main. Ce remède anodin, vu l’étendue du mal, n’avait agi qu’en surface. Il avait laissé debout la conspiration qui se préparait dans l’ombre.

Quoiqu’en 1825 elle existât depuis dix ans, les dissentimens des conspirateurs entre eux en empêchaient encore l’exécution et l’éclat. Leur désaccord portait sur le but qu’il convenait de poursuivre. Les uns voulaient former de la Russie deux républiques, l’une dans le Nord, l’autre dans le Midi, ou même une seule avec trois consuls, des tribuns, une garde nationale qui aurait remplacé l’armée régulière pour la défense du pays. À cette conception, qu’eût complétée l’entière libération des paysans, un autre groupe opposait la formation d’un gouvernement taillé sur le modèle de celui des Etats-Unis. Enfin, contrairement à ces plans, quelques-uns des conspirateurs, appartenant à la caste aristocratique, entendaient ne concourir à la révolution que si elle s’accomplissait au profit des seigneurs, conservait l’esclavage et, maintenant l’armée sur le pied où elle se trouvait, déclarait la guerre à tous les gouvernemens monarchiques.

Avec des programmes si différens, il n’était pas aisé de s’entendre. Par deux fois, les pourparlers n’avaient abouti qu’à l’ajournement des décisions définitives, à leur ajournement. mais non à leur abandon, car il est un point sur lequel n’existait aucune dissidence : il fallait à tout prix se débarrasser de tous les Romanoff en les massacrant. L’impératrice Elisabeth, sans que l’on sache pourquoi, était seule exceptée de cette