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A l’autre extrémité, dans le Nord, les affaires de Finlande font un triste pendant. On s’y bat de tous côtés, Russes contre Finlandais, et Finlandais même contre Finlandais, garde rouge contre garde blanche. La bourgeoisie et le peuple, ouvriers et soldats, ne communiquent plus que par les armes. Des généraux improvisés de part et d’autre lèvent et commandent des armées surgies de l’abîme. Il en est de même sur toute la surface de l’Empire, tout criblé des crevasses du tremblement de terre. C’est une décomposition totale. Comment faire pour que la putréfaction d’un si gigantesque cadavre n’empoisonne pas de bout en bout le double continent qu’il couvre ?

Le secret de la puissance encore croissante ou peu entamée des maximalistes réside dans ce fait, le seul clair et évident, que personne en Russie ne veut plus faire la guerre. Au moins la guerre étrangère, car tout le monde, au contraire, est emporté d’une fureur de guerre civile. Le Russe n’a plus d’ennemi que le Russe. Et il peut y avoir, dans ce dégoût, dans cette espèce de démission nationale, de l’horreur causée par les conditions dans lesquelles on a dû combattre, sans canons et sans fusils, pendant la première année; le souvenir de tant de déceptions ; la rancune de tant de défections ; mais il y a surtout l’absence de sentiment national, due à l’absence de l’idée de nation. La révolution française, à qui la révolution russe a la manie de se comparer, s’est sauvée par le sentiment et la passion de la patrie. Elle a racheté le sang injustement et criminellement répandu par le sang héroïquement versé. La révolution russe, tout à l’opposé, se souille de l’un, et ne se lave pas par l’autre.

Mais le pseudo-gouvernement des Lénine, des Trotsky et des Zinovieff peut subir le contre-coup violent de l’échec des pourparlers de Brest-Litovsk, s’ils échouent, du fait de l’Allemagne ou de son propre fait. Par-dessus la grande promesse de la paix, il a semé, en outre, la grande illusion du partage des terres. Qu’arrivera-t-il de lui, quand l’homme le plus borné du peuple le plus attardé de toutes les Russies se sera rendu compte qu’il aura été impuissant adonner la paix, et que donner la terre comme il la donne, par décret, et toute nue, c’est n’avoir rien donné du tout? Qu’arrivera-t-il de lui, et, lui rentré dans ce néant qui sera le seul ordre nouveau qu’il ait été capable de créer, qu’est-ce qui viendra après lui ? Tout ce chaos russe, que deviendra-t-il? On n’aperçoit rien. Et pourtant il faut qu’il vienne quelque chose. Il ne faut pas que l’impérialisme germanique ait, à l’Est, la route libre ; que, sur le flanc de ce qui n’est encore aujourd’hui que l’Europe centrale, il n’y ait plus d’Europe orientale, et que commence