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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/110

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d’expériences, un autre « ordre » de réalité s’impose à l’attention du chercheur. Le credo naturaliste recevait ainsi un premier démenti de celui-là même qui en avait été l’un des plus fervens apôtres.

D’autres démentis allaient suivre, plus formels encore et plus décisifs. L’année même où Taine publiait son Ancien Régime, Brunetière commençait contre le roman naturaliste une campagne qu’il devait poursuivre jusqu’à la « banqueroute » de l’école. Avec une verve incisive, une âpreté, une vigueur que l’on n’a point oubliées, il discutait les théories et les œuvres : il montrait par des exemples empruntés à la littérature anglaise, et surtout à notre littérature classique, que le naturalisme authentique et complet était singulièrement plus large, plus souple et plus humain que celui dont on nous forgeait une grossière image, et que, si l’on voulait se borner à imiter ou copier la nature, encore fallait-il ne point commencer par la déformer et la mutiler. L’âme aussi est dans la nature, et l’âme, au moins autant que le corps, a droit de cité dans la littérature et dans l’art.

Soit qu’il eût fait siens ces très sages conseils, soit qu’il fût arrivé par le seul progrès de sa propre pensée à des conclusions analogues, un jeune écrivain qui avait commencé par admirer beaucoup Zola, et qui a longtemps partagé, sur la toute-puissance et la compétence universelle de la Science, les illusions de son maître Taine, M. Paul Bourget, s’essayait vers la même époque au roman, et, pour son coup d’essai, il ressuscitait cette forme injustement dédaignée du roman, qui s’appelle le roman psychologique. Il avait, au préalable, dans une série d’études qui avaient été fort remarquées, les Essais de psychologie contemporaine, esquissé le portrait moral de sa génération, et il concluait qu’à l’inverse de ses devancières, inquiète, incertaine et pessimiste, cette génération n’avait pas encore trouvé le principe de foi dont elle avait besoin pour vivre et pour agir.

Ce principe de foi, dont l’absence et le besoin tout ensemble se font, en effet, si vivement sentir dans toutes les œuvres d’alors, — celle de Pierre Loti, par exemple, — un autre écrivain s’efforçait aussi de le chercher en dehors des voies tracées par le naturalisme scientiste. A l’école des romanciers russes, Eugène-Melchior de Vogüé s’était nettement rendu compte que, pour renouveler non seulement la littérature, mais l’âme