que la « science, » — ou la conception pseudo-philosophique que l’on prenait pour la « science, » — se suffisait à elle-même, était à elle-même sa propre justification morale, et l’on se désintéressait totalement des conséquences qu’elle pouvait entraîner. On se rappelle les fières déclarations de Taine : « La science ne doit pas se plier à nos goûts; nos goûts doivent se plier à ses dogmes; elle est maîtresse, et non servante... Elle est à mille lieues au-dessus de la pratique et de la vie activé ; elle est arrivée au but, et n’a plus rien à faire ni à prétendre, dès qu’elle a saisi la vérité. » M. Bourget montrait au contraire, par un exemple saisissant, que les notions philosophiques ou scientifiques, en apparence les plus inoffensives, interprétées et appliquées par certains esprits, peuvent avoir les conséquences les plus désastreuses, et que, même en pareille matière, — il le disait explicitement dans sa Préface, — il fallait revenir au vieux précepte chrétien sur l’obligation de juger l’arbre par ses fruits. Entre les conclusions de la science, et les conclusions, — ou les postulats, — du christianisme, il n’hésitait pas à choisir, — ou à parier, — pour le christianisme. S’inspirant d’ailleurs de Spencer, il n’admettait pas qu’il y eût contradiction entre leurs conclusions respectives. « La Science d’aujourd’hui, écrivait-il, la sincère, la modeste, reconnaît qu’au terme de son analyse s’étend le domaine de l’Inconnaissable. » Et il estimait enfin qu’il y avait un intérêt véritablement national à ce que, sur tous les hauts problèmes qu’il soulevait, la jeunesse française pensât comme lui, et non pas comme l’on pensait il y avait vingt ans : « Je te le jure, mon enfant, la France a besoin que tu penses cela, et puisse ce livre t’aider à le penser 1 » Encore une fois, c’était là rompre directement en visière avec les théories et avec les maîtres jusqu’alors en honneur. Et c’est ce que Taine, dans une lettre que nous avons jadis longuement commentée ici même, a très vivement senti. Toutes les polémiques engagées autour de l’ouvrage ne faisaient qu’en souligner la portée, et que consommer la rupture. Je ne sais si depuis la Vie de Jésus, il avait paru en France un livre qui fût à un aussi haut degré un « sujet de contradiction » parmi les hommes qui pensent.
Avec sa fougue et sa décision coutumières, Brunetière était intervenu dans le débat, et c’avait été pour se ranger du côté de M. Bourget. Saas suivre peut-être jusqu’au bout l’auteur du