Lorsqu’en septembre 1905 M. Witte arriva à Paris de Portsmouth, où le grand financier venait de gagner, et d’une façon brillante, ses éperons de diplomate, il parla plus haut que jamais de la nécessité de contracter une alliance étroite avec l’Allemagne et d’y attirer la France. Il connaissait sans nul doute par ses amis de Saint-Pétersbourg la substance du traité secret conclu entre les deux Empereurs, et il se croyait déjà appelé à succéder au comte Lamsdorf comme ministre des Affaires étrangères, — qui sait ? — comme chancelier de l’empire de Russie chargé d’inaugurer son grand et nouveau système politique. M. de Nélidoff se garda bien de l’instruire du vrai et définitif résultat de l’entreprise de Bjoerkoe; mais lorsque Witte arriva à Saint Pétersbourg, il comprit tout de suite que le terrain était devenu tout autre qu’il ne l’avait cru et espéré. Il n’était plus question, pour la politique extérieure de la Russie, ni de lui, ni de son système; et la rumeur publique qui continuait à escompter la retraite du comte Lamsdorf donnait comme successeur à cet honnête et prudent, mais trop modeste homme d’État, le brillant ministre de Russie auprès de la cour de Danemark, M. Isvolsky, lequel n’avait jamais caché ses sympathies pour un arrangement sincère et complet entre la Russie et l’Angleterre.
Dès ce moment, l’ambition du comte Witte (il venait de recevoir ce titre pour les services rendus à Portsmouth) se tourna du côté de la politique intérieure qui prenait à cette époque en Russie une tournure singulièrement grave. On sait la part qu’il y prit. Porté au pinacle, ayant joué le rôle décisif dans les journées qui aboutirent à la capitulation apparente du régime autocratique et à l’installation d’une représentation nationale en Russie, il se vit presque aussitôt isolé, abandonné par la sympathie publique, regardé comme suspect et honni par ceux-là même en faveur desquels il semblait avoir remporté une formidable victoire. Sic vos non vobis. La disgrâce impériale, disgrâce discrète et tempérée d’aimables procédés personnels, suivit la défaveur publique, et le comte Witte ne revint plus jamais à la surface des grandes affaires d’État pour lesquelles il était pourtant créé et dans lesquelles il avait rendu de si éminens services. La cause de cet insuccès final doit être attribuée à la soif de pouvoir et à une certaine rêverie politique qui obscurcissaient parfois cette vaste intelligence et provoquaient