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Racine, les romantiques et la littérature contemporaine. Mais, à propos de Sainte-Beuve, il écrit : « Comment lui reprocherions-nous d’avoir fait tout justement ce qu’ont fait la plupart d’entre nous, d’avoir commencé par aimer trop les romantiques et d’avoir fini par les aimer moins ? d’avoir peu à peu découvert et avoué ses véritables goûts, d’avoir enfin reconnu qu’il était né classique ?… » Lemaître, comme Sainte-Beuve — et, je crois, un peu plus lentement, — a suivi le cours naturel d’une méditation que la vie accompagne. Brunetière, lui, était arrivé plus tôt, et avec une promptitude extraordinaire, à sa vérité. Si Lemaître a flâné plus longtemps, il a profité de son erreur et montré d’une façon très pathétique et amusante les étapes du chemin qui conduit à la sagesse. D’ailleurs, sa préférence pour Corneille, il a raison de la noter comme un signe de ses goûts et de son caractère ; mais elle avait disparu dès avant les premiers Contemporains, où il est racinien déjà, s’il l’a été de plus en plus. Romantique, l’est-il encore, dans les premiers Contemporains ? Il l’est à peine ; et même, on voudrait qu’en parlant d’Hugo, sinon de Lamartine, il le fût davantage. La seule opinion de sa prime jeunesse qu’il ait conservée tard, c’est, comme il dit en 1913, sa « candide prédilection » pour les écrivains contemporains.

Il croyait qu’on avait le devoir de considérer Bossuet comme un grand orateur ; mais, quant à l’aimer, il estimait que cela ne se faisait pas sans « bonne volonté. » Il reprochait à Brunetière de mettre Athalie au-dessus de Madame Bovary, et demandait « ingénument » pourquoi. Il écrivait : « Si peut-être Corneille, Racine, Bossuet n’ont point aujourd’hui d’équivalens, le grand siècle avait-il l’équivalent de Lamartine, de Victor Hugo, de Musset, de Michelet, de George Sand, de Sainte-Beuve, de M. Renan ? Et est-ce ma faute, à moi, si j’aime mieux relire un chapitre de M. Renan qu’un sermon de Bossuet, le Nabab que la Princesse de Clèves et telle comédie de Meilhac et Halévy qu’une comédie même de Molière ?… » Il écrivait, après avoir célébré l’impressionnisme des Goncourt : « Et, comme nous sommes des gens d’aujourd’hui, nous demandons la permission de goûter vivement ces poètes de la modernité. » Il trouvait son époque « divertissante » et lui savait gré de réunir deux hommes entre lesquels il apercevait la différence de deux siècles, M. Sarcey et M. Renan. Plus tard, il écrira, dans son éloge des Vieux livres : « Il est possible que plusieurs écrivains du XIXe siècle aient été d’une intelligence plus souple et plus étendue que les classiques, et il est possible que certains autres aient eu une sensibilité plus affinée. Mais il demeure