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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/288

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croisade de seigneurs et de princes de l’Occident, est refoulé par une sanglante défaite dans les plaines du Danube. Après un arrêt de quelques années causé par les victoires de Tamerlan, la conquête turque reprend un nouvel élan et la chute de Constantinople plonge la chrétienté dans la consternation et la stupeur.

La poésie et la légende se sont associées à l’histoire pour tisser le linceul de la Serbie expirant sous les coups des infidèles. La mort d’Ouroch ayant provoqué le morcellement de ses Etats, la plus grande partie des provinces serbes avait pris pour roi le Knèze Lazar, dont la capitale fut Kruchevatz sur la Morava. Ce prince, modèle de piété et de bravoure, lutte pendant dix ans avec des forces inégales contre le flot envahissant des Ottomans. Mais enfin, le 15 juin 1389, la fleur de la nation périt avec son Roi, écrasée par l’armée trois fois plus nombreuse du sultan Mourad dans la plaine à jamais funèbre de Kossovo, le Champ des Merles.

L’oppression turque commence alors, qui va durer plus de quatre siècles. D’abord le régime tributaire, les seigneurs vassaux ; puis, sous Mahomed II, la servitude complète, les pachas remplaçant les voïvodes, les janissaires installés dans les villes, les spahis dans les campagnes, et le paysan maltraité comme le serf de la glèbe. Pour échapper aux exécutions, les chefs bosniaques se convertissent à l’islamisme, mais le gros de la nation serbe reste fidèle à la foi orthodoxe, fidèle aussi au culte du passé, au souvenir des héros légendaires, Lazar, le martyr, et son chevalier, Miloch Obielitch, qui tua le sultan Mourad, Marko, le vaillant voïvode, obligé de servir le Padischah ottoman. Leurs exploits sont promenés à travers les siècles de foyer en foyer par des chanteurs populaires. Cette poésie épique et anonyme maintient dans l’âme des pâtres et des laboureurs serbes une conscience nationale, la conscience d’être un peuple qui plus tard sortira vivant de son tombeau. Quelques révoltés tiennent toujours la montagne, des brigands patriotes, les haïdouks, et la poésie célèbre leurs hauts faits comme ceux des chevaliers du passé.

Le signal de l’insurrection est donné en 1804, au milieu des guerres napoléoniennes, par un ancien haïdouk, Kara George, Georges le Noir, devenu marchand de bestiaux. Des peuples soumis aux Osmanlis les Serbes ont été les premiers au XIXe siècle à se lever contre leurs oppresseurs. Kara George,