voyages en Pologne, j’ai interrogé les principaux d’entre eux et je les ai encouragés à me dire toute la vérité. Ils m’ont dit qu’ils étaient contens de leur sort et qu’ils n’avaient rien à désirer. Jugez, mon cher général, quelles ont dû être ma douloureuse surprise et mon indignation, en les voyant entrer en révolte ouverte et préluder à leurs projets par le meurtre et l’assassinat. Les Polonais sont à la fois bien fous et bien coupables. Ils ont méconnu mon caractère : cependant je suis juste et clément ; je saurai distinguer les innocens des coupables, et, sur toutes choses, je n’oublierai jamais, quelle qu’ait été la conduite des Polonais à mon égard, que j’ai juré de conserver les institutions données par mon frère. Le glaive est suspendu sur leurs têtes. Des forces immenses marchent contre eux et vous savez quelle est l’animosité des Russes à leur égard. Qu’ils y prennent garde et qu’ils sachent profiter du temps qui leur est encore laissé ! »
Il y avait beaucoup de vrai dans cette lamentation menaçante. Mais Nicolas oubliait que l’empereur Alexandre, après avoir tiré la Pologne de son néant, après l’avoir dotée d’institutions libérales et d’une constitution, en avait lui-même détruit les heureux effets par un acte additionnel qui ajournait indéfiniment la convocation des Etats, restreignait la liberté de la presse et donnait à la police des pouvoirs illimités ; il oubliait que le grand-duc Constantin, gouverneur de la Pologne, avait lassé l’armée, l’aristocratie, la population, par le caractère capricieux, brutal, fantasque de son gouvernement, par les persécutions exercées contre les catholiques et par la liberté qu’il laissait aux exécuteurs de ses ordres de les dénaturer en les aggravant ; il oubliait enfin l’inextinguible patriotisme de la nation polonaise, les souvenirs prestigieux de son indépendance, sentiments que n’avaient pu effacer ni de longs malheurs, ni les bienfaits d’un bien-être matériel. Tant que cette indépendance, ce droit naturel des peuples de disposer d’eux-mêmes ne lui seraient pas rendus, elle se considérerait comme asservie et son patriotisme saisirait toutes les occasions de se manifester. A l’heure où il éclatait dans la Pologne russe, les deux autres puissances copartageantes, la Prusse et l’Autriche, en étaient à se demander si, comprimé depuis le partage, il n’allait pas se réveiller sur les territoires qu’elles détenaient et si les Polonais soumis à leur domination ne suivraient pas l’exemple de Varsovie.