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pour soi, chacun sa guerre, qui ne doit être qu’une guerre civile. Et périsse la patrie (qu’est-ce d’ailleurs que la patrie ?) pourvu que les révolutionnaires se perpétuent en sauvant la révolution !

Parallèlement, les Alliés, sans distinction, ont une mauvaise presse. Alliés, ennemis, on coud tout dans le même sac. La Révolution russe n’a pas d’alliés, n’ayant ni pairs ni pareils, étant une chose neuve et incomparable, une ère, une hégire, un temps de l’humanité. En ce sens, les Alliés sont des ennemis, et les ennemis peuvent devenir des Alliés. Les uns et les autres se valent. Cette note, de proclamation en proclamation, s’accentue. Que fait le militarisme allemand ? Rien que « d’exécuter les ordres des capitalistes de tous les pays. » Il veut « écraser les ouvriers et les paysans de Russie et d’Oukraine ; il veut rendre les terres aux propriétaires, les fabriques et usines aux banquiers, le pouvoir aux monarques. » Mais « les capitalistes de tous les pays » le veulent comme lui ; ils sont ses complices, il est leur agent, même s’ils étaient hier alliés de la Russie, s’ils se croient maintenant encore ennemis de l’Allemagne. Cependant le Soviet a fait une découverte. Lénine et Trotsky sont froissés du manque d’égards avec lequel le gouvernement allemand en use envers ses parlementaires. Partis pour Dvinsk, en toute hâte, dès le 20 février au soir, ils n’ont, le 21, reçu aucune réponse. « Il est clair, en déduisent les Commissaires du peuple, que ce gouvernement ne veut pas la paix. » Moins il la veut, plus ils la veulent. Toutefois ils s’écrient, à la mode jacobine modernisée : « La patrie du socialisme est en danger ! » Non pas, tout bonnement, la patrie socialiste, la leur, accommodée à leur guise, mais la patrie du socialisme, la Ville sainte, la Mecque nouvelle du nouvel Islam. Le Soviet va donc courir à son secours ? Sans doute : « Les ouvriers et paysans de Pétrograd, de Kieff, de toutes les villes, de tous les villages et hameaux qui se trouvent sur les lignes du front attaqué, mobiliseront des bataillons pour creuser des tranchées sous la direction des spécialistes militaires. Ces bataillons comprendront tous les membres de la classe bourgeoise qui sont capables de travailler, hommes et femmes, sous la surveillance de la garde rouge. Ceux qui résisteront seront fusillés. » C’est net et bref ; et voilà, pour l’aristocratie des ouvriers et des paysans, sur l’injonction de l’autocratie bolcheviki, une façon de faire la guerre à coups de bourgeois, à qui l’on adjoindra les journalistes suspects ou récalcitrans, pour être bien certain d’être obéi dans le plus parfait silence. Méthode admirable, d’user et de briser les uns par les autres les