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contre le Camerino, venait brusquement de dévier de sa route. Il venait de quitter Spolète où était son quartier général et, au lieu de tourner à droite, il avait pris la grande route au Nord et gagné, à marches forcées, Costacciaro et Cantiano, précédé par deux mille hommes d’infanterie, et il s’avançait sur Cagli, c’est-à-dire en plein État neutre d’Urbino. L’homme de confiance du duc, Messire Doice, qui lui mandait ces nouvelles, ajoutait qu’il recevait de Fossombrone l’avis suivant : des deux mille hommes que César Borgia venait de rassembler précédemment en Romagne pour investir le Camerino, la moitié s’était retournée vers la frontière urbinate et occupait les hauteurs d’Isola di Fano, de Reforzale et Sorbolongo, c’est-à-dire les passes entre l’État Urbino et celui de Sinigaglia ; tout Fano était occupé par les troupes pontificales ; enfin les comtes de Montevecchio et de San Lorenzo, qui évoluaient sur cette frontière, venaient de passer à la solde de Borgia et sans doute allaient marcher aussi contre Urbino.

En entendant ces choses, un homme de notre temps fût demeuré stupide… Il aurait pris le courrier qui les lui rapportait pour un fou ou un mystificateur… Qu’avait César contre lui ? ils étaient fort bien ensemble. Il n’y avait pas six mois, il avait reçu Lucrèce Borgia en grande pompe à Urbino, et quitté son propre palais pour qu’elle s’y déployât plus à son aise ; il lui avait même donné sa femme Élisabetta Gonzague pour l’accompagner à ses noces avec Alfonso d’Este. Élisabetta en avait reçu, d’ailleurs, les plus tendres témoignages d’amitié… Il n’y avait pas plus de trois mois, le Pape avait donné à son neveu et fils adoptif, le jeune Francesco Maria della Rovere, le titre de « Préfet de Rome, » et voici qu’il voulait lui donner, en mariage, sa nièce Angela Borgia. Il n’y avait pas un mois que César avait écrit à Isabelle d’Este, belle-sœur de la duchesse d’Urbino, une lettre tout emmiellée pour fiancer son fils à elle âgé de deux ans à la fille qu’il venait d’avoir de Charlotte d’Albret. Il n’y avait pas huit jours qu’à son quartier général, de Spolete, parlant à Messire DoIce, il l’avait assuré qu’il n’y avait « personne en Italie pour qui il eût un attachement aussi fraternel que pour Guidobaldo !… » Rien ne s’était passé, depuis ces quelques jours, qui ait pu changer les sentimens du Valentinois à son égard… Tout au contraire, celle artillerie que César traînait avec lui maintenant sur les routes du duché,