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troisième jour ; — et, pour les séparer, la zone incertaine des sables amoncelés en bourrelets, en rides successives de dunes, sans cesse brossées, drossées en milliards d’atomes, en poudre glissante et brillante par les vents du large, que combattent mal les touffes pâles de cette sorte de jonc, la seule plante qui puisse vivre dans cette pulvérulence, et que les gens du pays appellent les oyats.

Ah ! le touchant, l’admirable diptyque, avec les diverses mélancolies de son double infini, reliées par l’immense concavité du ciel, que tantôt voilent les brumes et tantôt escaladent les vapeurs et les nuages ! Ici les flots marins poussant les flots des sables ; puis la longue bande des dunes avec leurs arabesques rappelant la Sicile ; enfin le polder et la fuite indéfinie de ses lignes basses, ses humbles toits de chaume parmi les potagers, ses fermes rustiques au bord des canaux invisibles, ses auberges aux noms saugrenus, le Pélican, le Popeqai, le Crocodile ; et puis là-bas, à la limite de la terre et du ciel, ce grand reliquaire de Furnes avec la silhouette de ses tours et de ses églises, comme une beauté inquiète suspendue au bord des périls, effrayée des menaces et des tempêtes du siècle, effarouchée de la barbarie de ce monde sauvage, prête à s’évanouir et à retourner vers le ciel.

Et quelle population, quel bariolage de races, restes de la grande bataille éteinte, du drame de 1914 ! C’était certainement le coin le plus cosmopolite de toute cette guerre, avant l’armée de Salonique. Il y avait d’abord les Belges, à notre droite, montant stoïquement la garde derrière leurs, inondations. Puis, c’étaient nos troupes de couleur, notre Algérie et notre Maroc, avec leur génie de nomades, les mœurs du campement arabe, leurs vivans tableaux de Decamps et de Delacroix, leurs danses, leurs jeux, leurs fantasias, leur éternelle Orientale. C’étaient encore les marins dans leur aquatique domaine de Lombaertzyde, comme sur les planches d’un radeau, avec leur ménagerie de chats, de chèvres, de perroquets, leur bourriquot Tirpitz, leur cimetière touchant comme un cimetière breton, et leur façon de faire la guerre comme une expédition exotique contre les Pavillons noirs ou les Botocudos…

Il était encore là, celui que l’on nommait simplement « l’amiral, » le légendaire héros de Dixmude, avec sa fine fête grise et ses mains de chanoine, — bien surpris de se voir l’allié