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reproche de n’avoir pas, avec son nouvel appareil, obtenu déjà plus de résultats. La volonté de vaincre n’est plus, chez le jeune guerrier, soumise à l’occasion : elle croit forcer l’opcasion à heure fixe. Alors, son père se décide à lui parler. Avec sollicitude, il l’engage au repos, le prenant par l’amour-propre et l’intérêt même de son arme :

— Un repos momentané. Un repos qui te fortifierait. Il ne faut pas oublier que tu abuses de tes forces. Tu risques un jour, si tu continues longtemps encore, de n’être plus toi-même, de te montrer inférieur à toi-même.

Son fils le regarde avec reproche :

— C’est la guerre, papa. Il faut que ça marche ou que ça casse.

Le père insiste cependant. Pour la première fois, il donne un tel conseil, non sans y avoir mûrement réfléchi :

— Tu as ton compte. Arrête-toi quelque temps. Tu pourrais former d’autres pilotes de chasse, pareils à toi. Après, tu reprendras ta place à ton escadrille.

— Oui, et l’on dirait qu’à bout de récompenses j’ai cessé de combattre.

— Tu laisseras dire, et quand tu reparaîtras, plus fort et plus ardent, on comprendra. Je ne t’ai jamais donné un conseil que je ne puisse crier sur la place publique. Ne t’ai-je pas aidé dans toutes tes entreprises ? As-tu jamais trouvé ici autre chose que des encouragemens et l’acceptation la plus désintéressée et la plus exaltée de ta vie de combattant ? Mais il y a une limite aux forces humaines.

Georges Guynemer va conclure la conversation :

— Oui, dit-il, une limite qu’il faut toujours dépasser. Tant qu’on n’a pas tout donné, on n’a rien donné.

Le père s’est tu. Il a touché le fond de l’àme. Il est fier ensemble et attristé. Dès cet instant, il a le cœur angoissé. Au moment du départ, il dissimule son angoisse. Il regarde le partant comme s’il ne devait pas le revoir. Et quand il est parti, ces dames regardent encore dans sa direction. Le silence, et non les paroles, unit les siens dans un malaise que chacun d’eux se contraint à dissimuler aux autres.

Dans l’Iliade, quand Hector, après avoir rompu la muraille qui protégeait le camp grec et être apparu à ses ennemis, semblable à un noir tourbillon qui couvre tout d’un coup la terre