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Urbino ? Si on lui persuadait de se faire prêtre !… Il pourrait devenir cardinal ; on pourrait au moins le lui faire croire et, cardinal ou non, il deviendrait inoffensif. Il est vrai qu’il était marié, mais si peu ! Il n’avait pas d’enfans et était destiné à n’en point avoir : c’était de notoriété publique. Son peuple attribuait généralement ce malheur aux maléfices de son ancien tuteur et régent, Ottaviano Ubaldini, qui, convoitant la succession d’Urbino pour son propre fils, aurait appelé, pour priver le duc d’héritier, la sorcellerie à son aide. Les médecins incapables de remédier au mal étaient pour beaucoup dans la propagation de cette légende. Les astrologues aussi d’après l’horoscope tiré à la naissance de Guidobaldo, sa vie devait être « agitée, courte et infirme. » On pourrait doin annuler le mariage comme inexistant. On marierait la duchesse Élisabetta Gonzague à un « baron français ; » on en avait justement un tas sous la main, avec Louis XII. César resterait maître de l’État envahi, sans contestation possible, et tout le monde serait content.

Telle était la belle combinaison que César avait imaginée dans ces premiers jours d’août 1502, qu’il faisait circuler à Rome par ses agens, qu’il glissait, lui-même, à Gênes, dans l’oreille du trésorier de Mantoue, afin qu’on y amenât les Gonzague. Le Pape était consentant, cela va sans dire, la Cour de Mantoue n’y aurait pas fait grand obstacle, voyant là un moyen de se réconcilier avec César, avec qui elle projetait une alliance, sans abandonner trop outrageusement le beau-frère Guidobaldo. Mais il fallait le consentement des deux époux. Guido eût peut-être consenti à céder sa femme pour un chapeau, car il était homme de scrupules et pensait sans doute mieux remplir les devoirs de sa charge cardinal qu’époux, mais quelle apparence qu’une femme aussi sage qu’Élisabetta Gonzague voulût reprendre saliberté et abandonner le malheureux prince que tout trahissait à la fois ? Il suffit de regarder son portrait grave, pensif, crépusculaire, qui a les honneurs de la Tribune, aux Uffizi, pour comprendre qu’on ne se trouve pas en présence d’une tête virant à tous les vents. Elle refusa tout net, déclarant « que, dût-elle tenir Guidobaldo pour son frère, elle aimait mieux encore cela que le répudier comme mari. »

Ce trait frappa grandement les contemporains. Nous voyons