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grand changement : une saison de bains aux boues chaudes d’Albano était sa distraction principale.

Pourtant, les nouvelles de la « terre ferme » n’étaient pas toutes mauvaises. À Urbino, la révolution fermentait toujours. Il fallait changer constamment le gouverneur. Une suggestion d’envoyer des ambassadeurs à Rome, pour assurer le Pape du loyalisme des Urbinates, avait tourné de façon ridicule. Les ambassadeurs craignaient d’être retenus comme otages : ils se récusaient l’un après l’autre. On avait dû en enfermer quelques-uns dans le donjon de Cesena, pour leur donner le goût des voyages. Le peuple des campagnes aussi restait fidèle, surtout dans le Montefeltro. Naturellement, César, violant ses engagemens, avait tenté de reprendre les roche laissées à Guido. La forteresse de Majuolo, l’obélisque jumeau de San Leo, était tombée, mais San Leo tenait toujours. L’intrépide et savant Fregoso, rembûché dans ce repaire avec quelques Feltriens de vieille roche et de grosses pièces d’artillerie, défiait les forces du Pape et de la France conjuguées. Elles étaient pourtant commandées par un des plus habiles lieutenans de César, l’Espagnol Remires. Quant au roi de France, il avait tellement épousé la cause des Borgia, qu’il avait détaché de son armée, c’est-à-dire perdu pour son expédition de Naples, huit cents Gascons, dont il aurait eu grand besoin. Ces gaillards étaient venus camper autour de l’àpre citadelle, logeant chez l’habitant, épouvantant les familles, humant le piot, pourchassant le poil et la plume, odieux.

Cependant le siège n’avançait pas. Au contraire, les assiégés jouaient mille tours à leurs persécuteurs. Un jour de tempête noire, où des torrens d’eau submergeaient le rocher, Brizio, le vétéran qui avait surpris San Leo et son ami Marzio parvenaient à descendre de la citadelle et à traverser les lignes des assiégeans sans être vus, et ils gagnaient Mantoue pour tâcher d’en obtenir quelque renfort. Ils échouaient dans leur entreprise, ne pouvant décider que vingt-cinq hommes à les suivre. Mais ils revenaient avec cette petite troupe au pied du rocher et se présentaient au chef de l’armée franco-pontificale, comme gens désireux de s’enrôler à la solde des Borgia. Ils étaient inconnus : on les accepta, et ainsi on leur donna le moyen de s’approcher de la citadelle. Ils s’en approchèrent si près qu’ils s’en firent reconnaître et y rentrèrent joyeusement.