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comme ont dit certains journaux d’Outre-Rhin, — il est ou trop tôt ou trop tard. Trop tard pour la chronique-, trop tôt pour l’histoire’. Et, pour en parler utilement au point de vue militaire, il faudrait une compétence à laquelle nous n’avons jamais prétendu. À peine oserions-nous, si nous ne les avions éprouvées à la touche d’opinions sûrement compétentes, risquer ici deux ou trois réflexions. Ce qui se détache par-dessus tout, et ce qui imprime à cette bataille une physionomie tranchée, c’est qu’elle a été, pour la première fois dans cette guerre, presque exclusivement une « bataille d’infanterie. » Du côté des Allemands, après les trois ou quatre premiers jours, pas d’artillerie lourde : ils avaient dû la laisser en arrière, à cause même du succès initial de leur poussée et de la rapidité de leur avance. Ils n’avaient pu faire suivre que leur artillerie légère, leurs 77 bas sur roues, leurs « pièces d’accompagnement, » ces batteries spéciales qu’ils ont baptisées du nom bizarre de : « Infanterie-Begleit-Artillerie. » De notre côté, à nous, aucune artillerie, ni lourde, ni légère : seulement ceux de nos 75 que nous avions trouvé le moyen de porter. Dans la course à laquelle nous étions contraints à nous livrer, au sortir de la guerre de position pour rentrer dans la guerre de manœuvre, nous nous sommes engagés par ondes successives, par une série continue ou une suite continuelle de petits mouvemens « à droite, en bataille. » Nos troupes d’infanterie arrivaient ainsi par petites vagues, aussitôt submergées par les vagues, beaucoup plus grosses, çà et là énormes, des Allemands en nombre cinq ou six fois supérieur. Les yeux étaient frappés, au dire général, et comme hallucinés du grouillement ; les pentes, l’orée des bois, les plaines étaient noires ou plutôt grises de cette engeance. Aventure pareille à la nôtre était advenue aux Anglais. C’est ce qui fait que, bien que l’offensive fût prévue et prédite, la Ve armée britannique a été surprise. Elle l’a été non par l’attaque, qu’elle attendait, mais par la marée des assaillans. Ainsi encore en est-il sur certaines plages où le flot accourt très vite de très loin, ressort en quelque sorte goutte à goutte, flaque par flaque, du sable imprégné, et où l’on se voit tout à coup entouré de toutes parts.

Quelles ont été les pertes des Allemands ? Elles ont dû être très élevées ; les témoignages, là-dessus, s’accordent avec les vraisemblances. Nous ne le saurions d’une façon rigoureusement, arithmétiquement certaine, que si nous avions avancé, et si, en avançant, nous avions-été à même de relever, de dénombrer les morts sur le terrain . Nos aviateurs du moins, ont rapporté qu’eux aussi, ils ont vu le