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qu’il peut pour paraître fougueux et n’avance pas. Au loin, une sorte de Maritorne court lourdement dans la colline. Or ce cavalier est un Saint : une timide auréole entoure son casque ; ce chien est un dragon, qui s’efforce à paraître redoutable : ce mirliton est une lance brisée dans son corps, et cette femme est la Fille du Roi. On croit à une gageure, mais que l’on s’attache au cavalier : ce jouvenceau bien planté sur ses étriers, plein de candeur, de force et d’agilité, préfigure déjà l’humanité supérieurement belle et le geste harmonieusement vrai que peindra Raphaël, quand il ne figurera plus ni les bêtes, ni les monstres. Entre la nature inférieure et le surnaturel, c’est, déjà, un maître. Voilà vraisemblablement les premières œuvres que Guido fit exécuter en rentrant dans ses États. Non seulement, il les a commandées, mais il les a, sans doute, inspirées. La bête malfaisante frappée par le Saint, dans les deux compositions, le Saint lui-même triomphant de la violence et du vice, c’est, — transposée dans un monde idéal, où tout s’ennoblit et s’épure, — l’histoire même que nous venons de raconter.

Pauvre Saint Georges à la vérité et fort médiocre Saint Michel, que le pâle et valétudinaire héros de cette histoire ! Un Saint Michel vite guetté par la goutte et perclus dès sa maturité, après quelques années seulement de sportive jeunesse, un Saint Georges qui ne triomphe que tardivement et après avoir fui deux fois devant le Dragon ! Une âme bien trempée, cependant, et qui laissa chez les Vénitiens, s’il faut en croire Pietro Bembo, « la haute réputation d’un esprit au-dessus de l’humanité, d’un savoir admirable et d’une discrétion singulière, » mais trahie par ses organes et constamment embarrassée de sa guenille mortelle : tel fut Guidobaldo de Montefeltro, duc d’Urbino.

Ainsi, peu à peu, les traits de son portrait du Pitti s’expliquent et expliquent sa vie. La souffrance physique y est empreinte, la mélancolie y répand son voile, la fermeté le soutient. Enfant venu trop tard, d’un père trop vieux, d’une mère trop jeune, réclamé, arraché à la condescendance divine par d’indiscrètes prières, on sent qu’il paya toute sa vie la rançon de la joie donnée aux siens par son apparition dans le monde. Sa mère avait offert sa vie en échange d’un fils et le Ciel avait accepté le troc : elle était morte en lui donnant le