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caractère affectueux des rapports entre les membres de la famille impériale. À son fils le grand-duc Wladimir, elle disait : « Remercions Dieu du fond du cœur d’avoir détourné le danger. » À son mari, elle annonçait qu’elle faisait chanter un Te Deum à Cannes. Elle ajoutait : « Avec quelle ferveur je prierai pour toi. »

Cependant, les assassins étaient résolus à recommencer. Le 18 février 1880, au Palais d’Hiver, à l’heure du dîner, l’Empereur était en conférence avec le prince Alexandre de Bulgarie, lorsque dans la salle à manger, où le couvert était dressé, une explosion formidable se fit entendre. Le diner s’étant trouvé retardé, aucun membre de la famille impériale ni personne de l’entourage ne fut atteint. Mais dans le corps de garde situé en sous-sol, où l’explosion avait eu lieu, dix hommes du régiment de Finlande furent tués et dix-sept blessés. C’était encore miracle que l’Empereur eût échappé à ce nouvel attentat. Comme toujours en pareil cas, des télégrammes de félicitations arrivèrent de toutes parts. À celui du président Grévy, l’Empereur répondait : « Je vous remercie cordialement des sentimens que vous m’exprimez. L’esprit du mal ne se lasse pas plus que la grâce divine. J’aime à compter sur la sympathie des gens de bien. »

Cette réponse reconnaissante dissimule à peine la tristesse et le profond découragement que causaient à l’Empereur les tentatives criminelles dirigées contre sa personne et contre les représentans de son autorité. Son impuissance à pacifier les populations de l’Empire et à désarmer les assassins, tantôt par des rigueurs nouvelles et presque toujours arbitraires, tantôt par des réformes libérales qui eussent été plus larges, si la main qui les octroyait n’eût été arrêtée par d’incessans forfaits, lui rendaient de plus en plus lourd le poids de la couronne ; elle n’était pour lui qu’une charge dont il eût voulu se délivrer, mais qu’il continuait à porter parce qu’il s’y croyait obligé par le plus sacré des devoirs.

Lorsque, du point où nous sommes arrivés, on embrasse d’un regard l’ensemble de son règne, on est conduit à constater que l’année 1880 en est la plus douloureuse. Dans les événemens qui s’y succèdent, qu’il regarde du côté de l’Allemagne ou qu’il tourne les yeux vers la France, tout semble fait pour assombrir son esprit, l’irriter ou exciter ses défiances. À la fin