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Un Tommy, qui avait sur le bras quatre chevrons de blessures, le regardait avec méfiance. Le colonel, sa fusée d’obus à la main, s’approche de lui, et lui dit : « Ne me regardez pas de travers, je suis un journaliste français. » Alors le visage de l’Anglais s’illumina : « Eh bien ! vous pouvez dire à votre public que nous autres, les Anglais, nous sommes très heureux, » et cela signifiait : très heureux de vous avoir aidés, si glorieusement.

Non loin de là, des détachemens se trouvaient désignés, les uns du côté français, les autres du côté anglais, pour aller porter secours aux Italiens, et je sais qu’on entendit, bien des fois, les deux phrases que voici ; du côté anglais : « en Italie tant qu’on voudra, mais avec les Français à côté de nous ; » du côté français : « Si on part avec les Anglais, ça va bien, on a confiance. »

Vos officiers, vos hommes sont campés au milieu de nos paysans, dans nos fermes. Ils manifestent, pour les destructions et les horreurs commises par l’ennemi, autant d’indignation que s’il s’agissait de leur propre pays. Ces pauvres maisons éventrées, ces toitures enlevées, ces humbles objets du mobilier rural dispersés à travers la campagne, les remplissent de colère. Un jour, un homme de Londres, voyant sur le talus du chemin, à moitié enfoncée dans la boue, une machine à coudre, seul reste d’une habitation démolie, s’écria, devant un de mes amis : « Et penser, monsieur, que c’était peut-être un cadeau de noces ! »

Cause française et cause anglaise semblent bien fondues dans les esprits. On tire la même barque, on est de la même équipe. J’ai entendu, dans le train, des officiers français, du corps du général Anthoine, employer une expression qui n’est pas française, mais que je veux répéter parce qu’elle est amicale : « Avec les Anglais, on s’entend épatamment. » Il y a même souvent des traits assez touchans, qu’on peut observer dans nos villages où sont logées des troupes anglaises. Sans doute les rapports entre les soldats et les civils ne sont pas toujours aussi respectueux, marqués d’un idéalisme aussi vif que celui que je vais raconter. Il y a bien, par-ci par-là, des mercantis qui exploitent le soldat, et des soldats qui s’emparent volontiers de quelque objet qu’ils réputent abandonné. Mais l’impression générale du villageois est que l’Anglais est un bon enfant, fort, paisible et complaisant.

Aux yeux de l’Anglais, le villageois, l’indigène d’Artois ou