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dangereuse. Il y aurait eu des microphones chez nos alliés, envers qui nous n’avions qu’une excuse de prêter l’oreille : c’était de leur répéter tout. Heureusement, notre probité nous a préservés du péril. Ils ont été, les uns et les autres, par nous tenus ou mis au courant. Vis-à-vis d’eux, comme vis-à-vis de nous-mêmes, nous sommes sans reproche. L’Entente sort fortifiée de l’épreuve où l’on s’était sans doute flatté de la compromettre.

Telle est, en somme, la fameuse affaire Clemenceau-Czernin. Elle a, quinze jours, passionné le monde entier. Mais il importe de la mettre à l’échelle des événemens. Ce qu’on appelle injurieusement « la politique, » les misérables tracasseries des partis ont failli s’en emparer, n’ont pas encore absolument renoncé à l’exploiter. Ah ! non ; pas là-dessus : ne nous battons pas sur les bras et sur les épaules de la France ! N’énervons pas la guerre en poursuivant à reculons un vain fantôme de paix. Regardons virilement devant nous et autour de nous. Voyez. L’armée britannique sauvée s’accroche opiniâtrement à tous les reliefs du sol. Les Français ménagent leurs réserves pour la lutte suprême, qui décidera. Il se prépare, quelque part, quelque chose d’énorme, dont rien ne peut donner une idée. Quelque part, où étaient des champs, des villes neuves, improvisées, s’élèvent qui sont des cités de la force construites pour la justice. La terre et la mer collaborent; les routes multipliées, les fleuves élargis et creusés, roulent tout un peuple. Et voyez. Dans le même moment, l’Europe centrale, au sein de ses triomphes étalés, s’affaiblit, même militairement, s’appauvrit, se ruine, même en hommes. L’assaut échoue : ses vagues s’usent, le pain manque ou est rare, le blé n’arrive pas, les espérances fondées sur l’Oukraine font faillite, les défiances s’allument, les rancunes s’aigrissent, les discussions intérieures naissent ou s’exaspèrent. Le baron Burian, qui succède au comte Czernin, va être en butte chaque jour aux sommations des « nationalités opprimées » qu’a encouragées et excitées le Congrès de Rome. Ce qu’il nous faut gagner et ce qu’il nous suffit de gagner, c’est du temps. En gagnant du temps, nous gagnons la guerre. Pour en gagner, il faut tenir; mais, pour la gagner, il ne suffit pas de tenir. Car tenir n’est pas vaincre, ce n’est qu’une des conditions de vaincre. Mais nous tenons et nous vaincrons. L’Allemagne le sent dans ses moelles, quoiqu’on la berce de contes de Ma Mère l’Oie qu’elle gobe avec sa crédulité incurable.

Pareille aussi à elle-même, la Grande-Bretagne, sous la poussée mortelle, se redresse, dans un splendide effort. Elle prolonge la durée